mercredi 17 juin 2015

L'Orchestre National d'Ile-de-France et son chef Enrique Mazzola défendent avec fougue la musique américaine en la Basilique Saint-Denis, avec des oeuvres de Glass, Muhly, Dessner, et Bernstein

Basilique Saint-Denis - 10/06/2015


Une soirée au programme rare (en France tout du moins) était donné ce soir en la Basilique Saint-Denis dans le cadre du très côté Festival: une programmation américaine centrée autour du truculent et charismatique Nico Muhly (né en 1981), musicien héritier de l'école minimaliste, et compositeur en résidence durant ce mois de musique en Seine Saint-Denis.

Nico Muhly
On en attendait d'ailleurs pas moins des interprètes: en effet, le bouillonnant Enrique Mazzola et son Orchestre National d’Île-de-France (ONDIF) figurent actuellement parmi les rares musiciens à faire entendre de la musique minimaliste (et sa descendance) à Paris: Ils avaient notamment eu l'occasion de défendre un programme Philip Glass en mars dernier à la Philharmonie, basé sur les deux symphonies que le Maître new-yorkais écrivit en utilisant comme principal matériau des chansons de David Bowie et Brian Eno (issues des albums Low et Heroes).


Philip Glass
La soirée s'ouvrait justement avec une oeuvre de Phil Glass, The Canyon (1988). Commande de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam et présenté ce soir en création française, The Canyon est décrit par le compositeur comme un "épisode dramatique pour orchestre" où "lors de la représentation, la scène devient une gorge ou un canyon grandiose, traversée en silence par un voyageur solitaire". Usant de textures étales et d'une grandiloquence quasi-hollywoodienne, cette oeuvre est servie notamment par de belles couleurs enveloppantes des cuivres de l'ONDIF ainsi que par une direction engagée de Enrique Mazzola. Toutefois, ces excellents interprètes ne réussissent pas à sauver une des œuvres les plus faibles du catalogue de Glass, où le compositeur n'use pas de toute la panoplie des "tics" faisant la quintessence même de son langage (arpèges, balancements de tierces), afin de préférer de longues tenues creuses et statiques dans les passages lents, ou au contraire de frénétiques mélodies tapageuses dans le passage central rapide


Répétition générale de la création française du Concerto pour alto de Nico Muhly,
Nadia Sirota (alto), ONDIF, Enrique Mazzola (dir.)
Le concert se poursuivait avec une nouvelle création française, celle d'une oeuvre fraîchement composée (2015), un Concerto pour alto signé par l'invité d'honneur du festival, le compositeur Nico Muhly. Ancien assistant de Philip Glass, Muhly s'inscrit véritablement dans un courant que l'on pourrait qualifier de "post-minimalisme", bien que les influences des grands aînés (que ce soit celles de Phil Glass, Steve Reich, ou John Adams) soient parfaitement mûries au travers d'un langage à la profonde originalité et la liberté confondante, abhorrant les cadres et les catégories dans lesquelles on pourrait l'installer.
Particulièrement renommé outre-Manche et outre-Atlantique (où notamment son second opéra Two Boys triompha la saison passée au Metroplitan Opera de New-York), Nico Muhly reste malheureusement peu connu et joué en France, le concert de ce soir participera on l'espère à la popularisation de sa musique dans nos contrées !

Conçu pour sa grande amie l'altiste Nadia Sirota (présente ce soir à Saint-Denis pour défendre cette oeuvre écrite sur mesure pour son instrument), la pièce fut créée en Février dernier à Madrid, par cette dernière et l'Orchestre National d'Espagne, sous la direction de Nicholas Collon.
Au sein d'un cadre très classique en trois mouvements (vif/lent/vif), sans concepts où trame sous-jacente (au contraire de ses Sentences - monologue dramatique d'après la vie de Alan Turing - pour contre-ténor et orchestre de chambre, également présenté en création française dans le cadre du Festival), Nico Muhly réussit à faire passer l'essentiel de son art, sorte de concentré de son esthétique, à la fois dense et chamarré, où la vigueur ne cache jamais une émotion toujours à fleur de peau.

Nico Muhly et Nadia Sirota discutant à propos du Concerto pour alto.
L'oeuvre s'ouvre sur des textures orchestrales légères, puisées directement chez John Adams, tandis que l'alto tente de s'extraire du groupe par de discrets pizzicatos. Ces pizz laissant bientôt place à d'amples phrases lyriques, régulièrement brisées par de violents accents dynamiques si chers au compositeur. L'écriture orchestrale se fait alors tantôt violente, ou tantôt féerique, usant parfois de timbres scintillants (crotales, glockenspiel, etc.) créant ainsi une vraie dichotomie du discours, comme souvent dans la musique de Nico Muhly. On notera également l'écriture de l'alto, faîte de larges écarts et d'importants sauts entre les tessitures, conférant à la partie soliste un degré redoutable de virtuosité.

Le second mouvement quant à lui use d'une orchestration aérée, au raffinement qui n'est pas sans évoquer la musique de Thomas Adès (né en 1971). Au travers d'un intéressant travail sur les textures entre bois et cordes, le soliste se meut en une excroissance de l'orchestre, portant haut son beau chant sensible et sinueux. Un discours parfois brisé par de violentes bourrasques de cuivres ou grondements de tam-tam, véritable griffe du compositeur. On retiendra par ailleurs au sein de cet épisode la
Nadia Sirota
poésie méditative d'une section utilisant de lents réservoirs de notes se développant aux cordes, créant ainsi des superpositions de couches sonores au statisme ondoyant et coloré (une technique hérité de Gait (2013), pour grand orchestre)

Quand au finale, il développe les aspects rugueux du premier mouvement, en juxtaposant différentes séquences radicalement opposées (un motif en forme de gamme ascendante aux cordes, ou bien un passage à la fois rythmique et aérien où l'alto use d'harmoniques scintillantes). Là encore le compositeur use de techniques déjà expérimentées dans de précédentes œuvres, comme des glissades d'alto sur la corde Do, allant jusqu'à un son véritablement saturé à la fin du trait (cf la pièce Varied Carols (pour alto et bande, également composée pour Nadia Sirota), extraite du premier ballet de Muhly I Drink the Air Before Me).
Un moment de grâce au sein de ce mouvement frénétique: la présence d'une cadence soliste des plus contemplative, usant là aussi des techniques d'harmoniques naturelles, ici sous forme de trilles, d'où Nico Muhly réussis à tirer d'incroyables couleurs, comme la discrète prolongation des sonorités éthérées de l'alto, donnant un véritable sentiment d'immatérialité (une apesanteur brisée là encore de manière intermittente par les violentes glissades saturées évoquées plus haut). L'oeuvre s'achevant dans un ultime accent tranchante et acéré des cuivres, par dessus un orchestre et un alto soliste comme désabusés, harassés par cet éprouvant voyage musical à la forme kaléidoscopique.

Saluons ici la présence viscérale de l'altiste Nadia Sirota, qui se donne corps et âme dans une oeuvre écrite spécialement pour elle et son instrument, sublimant une partition tour à tour rugueuse, féerique, tourmentée ou aérienne. En somme, une nouvelle oeuvre à la fois belle, intense et prenante.


Bryce Dessner et Nico Muhly durant la répétition générale
du concert du 10/06/2015 en la Basilique Saint-Denis.
La suite du concert proposait encore une fois une création française (la troisième de la soirée), celle du Lachrimae (pour cordes seules - d'après la chanson de John Dowland - 1604 -) signé par le compositeur Bryce Dessner (né en 1976), qui à l'instar de son ami Nico Muhly fait partie de la troisième génération du minimalisme (la première pourrait être représentée par Riley, Glass, Reich; et la seconde par David Lang, Julia Wolfe, Michael Gordon).
Créé en 2012 par le Amsterdam Sinfonietta dirigé par André de Ridder, Lachrimae sera enregistré deux ans plus tard par le même chef, cette fois à la tête du Copenhagen Philharmonic Orchestra.

Compositeur au statut encore frais (Dessner est en même temps guitariste du groupe de rock indie The National), il développe un art à la fois brut, coloré, au final assez proche des premiers minimalistes, en ce sens que ses compositions adoptent souvent une certaine distanciation émotionnelle, où la musique ne vit que pour elle-même, marquant ainsi un tendance typique de certains compositeurs américains de la même génération (comme Kate Moore ou Sarah Kirkland-Snider).

Lachrimae (2012), pour cordes - de Bryce Dessner, 
par le Copenhagen Philharmonic, André de Ridder (dir.)

La pièce s'ouvre par de sidérants arpèges et trilles au violoncelle solo jouant en harmoniques naturelles, donnant par là un effet brumeux totalement inouï. Se pose alors sur ce tapis miroitant quelques bribes de la chanson originelle de Dowland, fragments qui semblent alors prendre la forme d'un songe éthéré et nostalgique. Utilisant d'incroyables sonorités orchestrales héritées de la pop-
Enrique Mazzolla et Bryce Dessner
durant la répétition générale du concert
du 10/06/2015 en la Basilique Sain-Denis.
music, Dessner nous emmène avec cette oeuvre dans un univers à part entière, presque en marge de sa production tant le résultat amène immédiatement l'auditeur au sein d'un ailleurs fait d'harmonies modales moelleuses (7e et 9e majeures à foison, ou frottements de 2ndes majeures), de resplendissantes harmoniques de violons dans l'aigu, ou bien d'une partie centrale où une pensée plus rythmique se fait prégnante. La section lente finale est également remarquable, faîte à la fois du retour du motif initial de violoncelle solo, mêlé à de longues et lentes glissades non-mesurées, qui ne sont pas sans évoquer la bande originale du film There Will Be Blood, signée par un autre musicien à la fois guitariste de rock et compositeur "post-minimaliste": Johnny Greenwood.

En somme, une oeuvre marquante, que l'on écoute ici avec bonheur trois années après sa création, par des cordes de l'ONDIF aux teintes changeantes, et un Enrique Mazzola visiblement heureux de présenter cette superbe partition au public de la Basilique.

La mezzo-soprano Michelle de Young



C'était une oeuvre de Léonard Bernstein (1918-1990), figure tutélaire de la musique américaine, qui refermait ce concert: la Symphonie n°1 "Jeremiah" (1942). Inspirée par l'épisode biblique des Lamentations du prophète Jérémie, la symphonie de Bernstein se divise en trois mouvements: "Prophecy", "Profanation", et "Lamentation".
Du premier mouvement on se souviendra de la ferveur hiératique et granitique des cordes de l'ONDIF, du second de la vigueur de la direction de Mazzola dans une étourdissante danse aux sonorités hébraïques, tandis que le finale, plein d'introspection faisait place au mezzo épais de Michelle de Young, qui était peut-être trop ample au vues de l'acoustique réverbérante de la Basilique.

Le chef d'orchestre Enrique Mazzola
Au final une remarquable soirée, qui aura permis d'entendre pour la première fois en France (on l'espère !), deux très belles œuvres des compositeurs Nico Muhly et Bryce Dessner, symbole de la vigueur, de la vitalité, et de la fraîcheur émanent du renouveau de la tendance minimaliste américaine, malheureusement trop peu connu en France à l'heure actuelle.
On saluera également tout spécifiquement la prestation du bouillonnant chef de ce soir: Enrique Mazzola. En effet, il existe peu de chef d'orchestres capable de démontrer une telle verve, un tel enthousiasme, un tel engagement physique dans une musique qu'il saisit à bras le corps en la défendant avec force, panache, et subtilité. En résumé: Un programme rare, un bel orchestre, un chef enthousiasmant.. Que demander de plus ?



Le site de Nico Muhly: http://nicomuhly.com/

Le site de Bryce Dessner: http://www.brycedessner.com/

Le site de l'Orchestre National d'Ile-de-France: http://www.orchestre-ile.com/

Le site de Enrique Mazzola: http://www.enriquemazzola.com/





samedi 6 juin 2015

"Parfums d'une nuit américaine": Une expérience musicale et olfactive, par le choeur Les Métaboles (direction Léo Warinsky), en compagnie du parfumeur Quentin Bisch

Eglise luthérienne des Billettes - 02/06/2015


C'était une église des Billettes pleine qui accueillait ce soir une expérience sensorielle à la fois étonnante, ludique, et poétique. En effet, le chœur Les Métaboles et leur chef Léo Warinsky (également actuel directeur musical de l'ensemble Multilatérale) proposaient un étonnant "concert olfactif" en compagnie du parfumeur Quentin Bisch (un parfumeur qui était il y a quelques temps encore, pianiste, compositeur, et directeur d'une compagnie théâtrale): Expérience déjà tentée en 2013 - également en partenariat avec Quentin Bisch -, il consiste à distribuer au public de petites "mouillettes" de papier humectées de parfums, changeant au fur et à mesure du programme afin de s'associer et de se mêler à la musique en un même objet poétique.

Le choeur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky) durant le concert "Parfums d'une nuit américaine",
le 02/06/2015 en l'Eglise des Billettes

Très représenté au sein de ce concert, un compositeur comme Samuel Barber pourrait figurer comme une personnification du programme musical de ce soir, alliant "tubes" de la musique chorale (Agnus Dei, transcription du célèbre Adagio pour cordes) à de merveilleuses pépites quasi-inconnues (comme le bouleversant To be Sung on the Water).

Le chœur Les Métaboles nous emporta ainsi une heure durant, dans des contrées méditatives venues d'ailleurs, où les parfums imaginés par Quentin Bitsch venaient comme moirer une atmosphère à la fois délicieuse et introspective, où la fragilité se mêlait à la sensualité, la musique aux parfums et aux couleurs (belles créations lumières de Rosario de Sanctis).

Quentin Bisch
Divisé en quatre parties, le programme se donnait pour but d'imager le thème de la nuit, du crépuscule à l'aube, au sein de sections au titre évocateur ("Ombre", "Sommeil", "Rêve", "Lumière"). Un parfum différent étant distribué au public à chaque changement de thématique.


Aaron Copland en compagnie de Nadia Boulanger, qui dirigea la création des Four Motets en 1921.
La première partie Ombre était constituée musicalement par les Four Motets (1921) de Aaron Copland, et olfactivement grâce à un parfum "frais, boisé, où l'on peut presque discerner les senteurs d'un feu de cheminée" nous explique Quentin Bisch en préambule. La musique de Copland quant à elle est un petit monde en soi: tantôt fragile et énigmatique ("Help us, O Lord", "Have Mercy on Us"), tantôt véhémente et vivifiante ("Thou O Jehova", et "Sing Ye Praises"), elle offre au spectateur une introduction rafraîchissante à un programme qui s'orientera par la suite vers des paysages nettement plus contemplatifs.


Eric Whitacre
Pour Sommeil, la seconde section du concert, Quentin Bisch nous proposait "un parfum réconfortant, comme un doudou que l'on prendrait avec soi pour s'endormir". Côté musical, cette part du spectacle s'ouvrait avec Sleep (2002) de Eric Whitacre. Une oeuvre à l'histoire amusante: Tout commence avec le désir de Whitacre de composer une oeuvre basée sur le poème "Stopping by Woods and a Snowy Evening" de Robert Frost. S'apercevant après l'écriture de la pièce que le-dit poème n'est finalement pas dans le domaine public (les ayants droits demandant d'exorbitants droits d'auteurs), Whitacre demanda à son ami le poète Charles Anthony Silvestri de littéralement recomposer un poème sur la musique préalablement écrite, qui de plus devait suivre la thématique originelle de Robert Frost. Whitacre nous livre alors une page au sein de laquelle l'influence d'un Copland se fait sentir, au travers d'un langage profondément personnel (un compositeur malheureusement peu joué par les ensemble professionnels, alors que sa musique est désormais très populaire au sein des chœurs amateurs). Dans la version de ce soir, Léo Warinsky conduit ses chanteurs dans un tempo allant, sans pathos, au contraire de certaines version fleurant bon une certaine niaiserie. On appréciera également la large palette de dynamiques de ce chœur de vingt-six chanteurs, capable des pianissimo les plus chuchotés comme d’impressionnantes houles emportant tout sur leur passage.

Sleep de Eric Whitacre, par le chœur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky), en la Collégiale St-Martin de Colmar, le 14/02/2015

Cette partie du programme se poursuivait avec deux autres brèves pièces, d'abord le O Magnum Mysterium (1994) de Morten Lauridsen, où des couleurs à la Arvo Pärt se mêlent à un écrin de douceur et de dissonances voluptueuses, s'enchaînant avec l'énigmatique Christian Wolff (1966) de Morton Feldman, sorte de point d'interrogation musical. Moment de statisme bouche fermé, cette pièce prend alors une direction poétique toute particulière grâce à la résonance du parfum créé pour l'occasion, et dont la senteur a eu le temps d'évoluer depuis les quelques minutes qu'il a été distribué au public.


Samuel Barber
S'en suivait un troisième moment intitulé Rêve, au sein duquel prenait place des œuvres de Samuel Barber: Three Reincarnations (1939/40), et deux courtes pièces To be Sung on the Water (1968) et Let Down the Bars (1936). On retiendra tout spécialement le sublime To be Sung on the Water, développant une modalité délicate d'une grande tendresse au travers d'un texte à l'onirisme doucement mélancolique, démontrant les qualités chambristes des Métaboles. Basé sur un texte de la poétesse Louise Bogan (1897-1970) imageant tant le roulis d'un bateau sur lequel se trouvent deux amants, que la fragilité des sentiments humains et la nostalgie du temps qui passe, Barber imagine une oeuvre d'une incroyable beauté où les deux parties du chœur (les femmes d'un côté, les hommes de l'autre) chanteront tout au long de la pièce sans jamais se rejoindre, comme deux être attirés l'un par l'autre mais qui au fond ne s'apprivoiseront finalement jamais.
Le parfum imaginé par Quentin Bisch afin d'accompagner cette caressante musique contient comme "une odeur à la fois lactée, crémeuse, et animale", entrant parfaitement en résonance avec ces méditations aux couleurs satinées.


Lux Aurumque de Eric Whitacre, par le chœur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky)
Pour accompagner l'ultime partie de ce concert, intitulée Lumière, le parfum créé par Quentin
Affiche du concert olfactif
 "Parfums d'une nuit américaine"
par le chœur les Métaboles.
Bisch mélange "bergamote, musc, et les meilleurs matières premières" déclare-t-il au public sur un ton enthousiaste. La fraîcheur de ces odeurs répondaient alors d'une belle manière au premier parfum de la soirée, formant ainsi une forme en arche, tandis que le programme musical apparaissait plus comme avoir une trajectoire linéaire, vers cet éblouissement final.
Le diaphane Lux Aurumque de Eric Whitacre, par ses harmonies diffractées à la manière d'un vitrail amenait au clou de la soirée, un Agnus Dei de Samuel Barber, poignant mais là aussi interprété d'une manière qui ne laissait pas le spectateur s’apitoyer, avançant constamment, sans boursouflure, conférant non pas une impression méditative, mais presque au contraire, celle d'une course à l'abîme vers un Eden radieux.

En bis, le chœur Les Métaboles nous offrit deux pièces. Tout d'abord Earth Song de Franck Titcheli, puis une transcription du Jardin Féerique, finale de Ma Mère l'Oye (1910) de Maurice Ravel, signée par le compositeur Thierry Machuel. Malgré des sopranos 1 quelque peu à la peine en cette fin de concert, ce finale ravélien s'incorporait parfaitement au reste du programme, et concluait cette soirée sur une note suave et rayonnante, à l'image de ce concert en forme de progression de l'ombre à la lumière, qui était rétrospectivement plus qu'un simple moment ludique où musique et parfums se mêlaient, mais bien une véritable expérience poétique.





Le site des Métaboles (dir. Léo Warinsky):
http://www.lesmetaboles.fr/

Quentin Bisch sur basenotes.net: http://www.basenotes.net/person/1033




lundi 25 mai 2015

Création de la luxuriante Symphonie n°1 "L'Idée-Fixe" de Bruno Mantovani, par l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, dirigé par Pascal Rophé

Maison de la Radio (Auditorium) - 22/05/2015


C'est dans un Auditorium de Radio-France malheureusement bien clairsemé que débuta ce soir là un week-end "carte blanche", consacré à une des personnalité les plus médiatiques de la musique contemporaine: Bruno Mantovani (né en 1974). A la fois compositeur, chef d'orchestre, directeur du Conservatoire de Paris, et depuis cette saison producteur sur France-Musique, Bruno Mantovani était à l'honneur durant trois concerts au sein de la Maison Ronde. Le principal événement se tenant ce soir, puisque l'Orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé par Pascal Rophé allaient donner la création mondiale d'une oeuvre orchestrale de grandes dimensions (30min) signée par le compositeur français, baptisée Symphonie n°1 "L'Idée Fixe".

Bruno Mantovani
Une création donnée au sein d'un programme concocté par Mantovani lui-même, avec en prélude les Quatre Etudes pour orchestre d'Igor Stravinsky, et avant la célèbre Sinfonia, pour 8 voix amplifiées et orchestre, de Luciano Berio.


Orchestration des Trois Pièces pour quatuor à cordes (1914) ainsi que de l'Etude pour pianola (1921), ces Quatre Etudes pour orchestre d'Igor Stravinsky permettaient d'entamer la soirée sur un ton à la fois frais et acidulé. Le "Philhar'" montra ici un bel investissement au sein de ces miniatures colorées, à la fois obsessionnelles (Danse), rugueuses (Excentrique), contrastées (Cantique) ou sémillantes (Madrid), dont l'esthétique évoque des œuvres comme L'Histoire du Soldat ou Renard (1917).



Pascal Rophé et Bruno Mantovani en répétition (2009)

Actuellement aux commandes de l'Orchestre National des Pays de la Loire, Pascal Rophé est un
habitué de longue date des oeuvres de Bruno Mantovani. Découvrant ses pièces alors que Mantovani n'était encore qu'étudiant au Conservatoire de Paris, Pascal Rophé ne cessera de diriger cette musique, le conduisant notamment à enregistrer deux albums (dont une monographie sortie en 2011 chez Aeon en compagnie de l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège, et des altistes Tabea Zimmerman et Antoine Tamestit), ou bien à diriger (également en 2011) la création de son second opéra Akhmatova, à l'Opéra Bastille.

Avec cette nouvelle oeuvre, il s'agissait pour Bruno Mantovani de s'intéresser à la notion de saturation de l'espace sonore par la vitesse et la réitération d'éléments de manière compulsive, démarche initiée dès 2006 dans Streets, où l'abondance de mouvements et de flux aboutissaient paradoxalement à une sensation de staticité, une démarche poursuivie au sein de cette nouvelle Symphonie n°1

Toutefois, cette saturation de l'espace, cette "idée fixe" n'entretient pas de lien direct avec la Symphonie Fantastique (1830) d'Hector Berlioz. En effet, Mantovani en a retenu l'idée au profit de la lettre, même si il n'est pas rare que le compositeur cite explicitement des œuvres du passé au travers des siennes (comme dans le concerto pour clarinette basse et orchestre Mit Audstruck (2003), contenant des fragments de lieder de Schubert).

La pièce s'ouvre sur une section lente, aux couleurs irisées et mouvantes, rappelant ainsi certains passages de Siddharta, ballet composé en 2010 pour l'Opéra de Paris. Suivi par un tutti en forme de tourbillon de timbres, Mantovani fait d'emblée preuve d'une imposante démonstration de son métier d'orchestrateur, et ceci sans toutefois tomber dans l’écueil de tics trop nombreux, qui saturaient littéralement ses œuvres de ces dernières années (Akhmatova, Concerto pour deux pianos..). On pourra insister brièvement sur l'utilisation de ces courtes formules typiques au compositeur (et qui pouvaient finir par agacer au fil des œuvres): en effet, après ce premier tutti apparaît un motif d'accords répétés comme martelés, d'une manière très régulière. Par la suite, cet élément sera distendu, étiré, resserré, subira tous types de modifications, comme si ce matériau était passé au travers du prisme d'un dispositif électronique. Cet élément scandé, par ces transformations successives se transformera par là en formule "type Mantovani", mais trouvera ici toute sa légitimité car profondément intégrée au discours dramaturgique de la pièce. 

On pourrait synthétiser ici par le fait que Mantovani fait montre dans cette nouvelle oeuvre d'une véritable volonté de renouvellement, avec une certaine limitation dans ses éléments de langage traditionnel (tutti usant d'échos en valeurs courtes et très rapides sur des tempi lents, mélodies constamment ornées de 1/4 de tons, etc..), pour non pas trouver des voix différentes, mais dégageant ainsi une évolution stylistique qui promet d'être des plus intéressantes à suivre.

L'Orchestre Philharmonique de Radio-France à l'Auditorium de la Maison de la Radio
Si l'on en revient à la notion de dramaturgie, on pensera à ce que déclarait récemment le chef Pascal Rophé dans une interview sur France Musique à propos de cette création: La musique de Bruno Mantovani contient toujours une forme, une direction lisible et clair; cette oeuvre pourrait être ainsi considérée comme profondément archétypale de la maîtrise de la forme (longue) chez le compositeur. En effet, cette Symphonie en un mouvement unique, que l'on pourrait presque considérer comme un "concerto pour orchestre" opte pour une forme en arche, dont l'épicentre serait un curieux passage de plus de cinq minutes n'usant que d'un quatuor à cordes seul. Oasis d'une ascèse marquant une rupture bienvenue au sein de cet océan d'hédonisme orchestral, ce long passage sert surtout de tremplin à l'orchestre, lui assurant une entrée des plus saisissante, par tuilage progressif avec les solistes du quatuor. Car progressivement, la saturation de l'espace sonore se fera de plus en plus prégnante, notamment en reprenant littéralement en sens inverse les éléments entendus jusqu'alors, pour se conclure dans une ultime accélérations pleine d'angoisse.

A retenir donc, une oeuvre marquante dans le corpus de Bruno Mantovani, amorçant peut-être un renouveau au sein de sa production, ceci au travers d'une oeuvre inspirée, où la vitesse, l'angoisse, la fièvre, mais aussi où l'onirisme et l'hédonisme sont présents.

En haut: Luciano Berio et les Swingle Singers en répétition;
En bas: Les Neue Vocalsolisten Stuttgart


Était proposée après l'entracte la célèbre Sinfonia de Luciano Berio (1925 - 2003). Créée en 1968 par les Swingle Singers, tout d'abord dans une version en quatre mouvements, puis plus tard complétée par un cinquième, Sinfonia peut être à juste titre considérée comme une des pierre angulaires de la musique du XXe siècle. 

Sans s'étendre sur l'oeuvre elle-même, on retiendra la vocalité "chantante" des Neue Vocalsolisten Stuttgart à qui étaient confiées les parties de voix solistes amplifiées. Se plaçant rarement dans une esthétique bruitiste ou plus clairement "rentre dedans" (comme l'était parfois la version des New Swingle Singers et Pierre Boulez), le groupe vocal allemand nous offre une version soignée, profondément "vocale" (vibrato, etc..), mais ne manquant pourtant pas d'une certaine plasticité poétique (quatrième mouvement). Exception faîte du fameux troisième mouvement, reprenant l'intégralité du scherzo de la Symphonie n°2 "Résurrection" de Gustav Mahler, sur lequel vient se greffer 500 ans d'Histoire de la Musique, de Bach à Boulez; un espace musical en trois dimensions où les Vocalsolisten se laissent aller à une bien plus grande théâtralité, se laissant ainsi porter par les flux d'énergie traversant l'oeuvre de part en part.

On aura eu également à cœur de mentionner (et ce tout au long de la soirée), la direction souveraine de Pascal Rophé, qui insuffla aux musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio-France - qu'il connait bien - une bonne dose à la fois d'énergie, de précision, et de poésie, allié à un programme exigeant, qui était toutefois relié par une indéniable notion de plaisir.





Pour réécouter ce concert sur le site de France Musique: 

http://www.francemusique.fr/emission/les-vendredis-du-philhar/2014-2015/stravinsky-mantovani-et-berio-au-programme-du-philhar-que-dirigeront-pascal-rophe-et


lundi 11 mai 2015

Triomphe pour le "concert d'accueil" des deux nouveaux co-titulaires du grand-orgue de l'église Saint-Eustache: Thomas Ospital et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard.

Eglise Saint-Eustache, Paris - 06/05/2015


L'atmosphère des grands soir régnait en l'église Saint-Eustache: Et pour cause, nommés juste avant Pâques, Thomas Ospital (né en 1990) et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (né en 1982) allaient donner leur tout premier récital "officiel" en tant que désormais nouveaux co-titulaires du grand orgue Van den Heuvel, prenant ainsi la suite du "monument" Jean Guillou (né en 1930), titulaire des claviers depuis 1963.

Une foule particulièrement nombreuse s'était déplacée ce soir (plus de 900 personnes selon la paroisse), parmi lesquelles le gotha de l'orgue parisien: Daniel Roth (Saint-Sulpice) ou Olivier Latry (Notre-Dame) étaient venus assister à cet événement. Un public qui au fil du concert, n'hésita pas à manifester son enthousiasme de manière parfois bruyante et démonstrative, démontrant ainsi que l'orgue intéresse encore de nombreuses personnes (dixit Thomas Ospital), et qui plus est bénéficie désormais de deux redoutables jeunes musiciens, qui on en sera certain, accompliront de fort belles choses à cette prestigieuse tribune.

Thomas Ospital et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard posant devant la console de nef du grand orgue de St-Eustache

Alternant œuvres du répertoire, pièces contemporaines, transcriptions, et improvisations, les deux nouveaux organistes "maison" nous proposaient un programme en forme de feu d'artifice, conçu afin de faire briller non seulement leur jeu, mais aussi les incroyables couleurs de l'orgue conçu par la maison Van den Heuvel en 1989, et à ce jour peut-être le plus bel orgue de France, avec celui de Notre-Dame de Paris.
Le grand orgue Van den Heuvel (1989) de l'église St-Eustache, Paris

Le programme s'ouvrait avec la fameuse Passacaille & Fugue en Ut mineur de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Baptiste-Florian Marle-Ouvrard.
Énoncé sur les 32' seuls, le thème de la Passacaille est comme irréel, désincarné, aux frontières de l'audible. L'oeuvre se déployant peu à peu en une grande douceur, usant d'un tempo relativement lent et pesant. Dans sa version, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard oublie l'idée de la danse baroque afin d'insuffler à l'oeuvre une pensée rituelle, à l'image d'une procession fantomatique, aboutissant à la fin de chaque partie au jaillissement de tutti à la puissance quasi-apocalyptiques. N'hésitant pas à user de jeux à la configuration "symphoniques" (voix humaine/cornet par exemple) afin de renforcer la perception de certaines lignes du contrepoint, on pourra tout de même parfois s'étonner de certaines registrations qui au contraire enterrent la polyphonie sous des flots de mixtures. Aussi, on ne saura que penser d'un usage massif des jeux de mutations, dont l'intonation n'était peut-être pas toujours au rendez-vous...

Succédait à la console Thomas Ospital dans une redoutable improvisation. Débutant dans une mélodie solitaire qui n'était pas sans évoquer la figure tutélaire de Jean Guillou (et où la conduite de phrase nous évoquait également les mélismes modalo/atonaux de Bruno Mantovani), Thomas Ospital nous emporte alors dans un étourdissant flot musical, où domine une maîtrise confondante de la complexité et de la richesse de timbres dont disposent les cinq claviers et la centaine de jeux du grand orgue. Utilisant toutes les possibilités de l'instrument, il use parfois de sonorités aux couleurs inouïes, comme les mutations jouées seules (évoquant par là les œuvres de Jean-Louis Florentz jusqu'aux improvisations de Thomas Lacôte), des alliages aux couleurs inexplicables (une main sur le principal 2', l'autre en doublure sur la 7e), provoquant une impression sidérante. Toutefois, il ne s'agit pas ici pour Thomas Ospital de prouver d'une manière brillante sa connaissance des timbres du Van den Heuvel de St-Eustache, mais surtout de transfigurer au travers de l'instrument une inspiration qui ne laisse aucun temps mort, à l'image d'un sidérant crescendo aux registrations agressives, donnant ainsi l'impression qu'un véritable éclair s’abattait dans la nef.


Baptiste-Florian Marle-Ouvrard donnant L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas 
(transcr. Lionel Rogg) sur l'orgue de la collégiale de Guérande.

Tout en contraste, le programme se poursuivait avec le retour de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard dans une délicieuse adaptation de L'Apprenti Sorcier (1897), poème symphonique de Paul Dukas. Transcrite par l'organiste et compositeur suisse Lionel Rogg (né en 1936), la pièce de Dukas se révèle sous les doigts de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, tour à tour énigmatique, féerique, et avant tout emprunte de poésie. La "réduction" pour orgue ne se laissant d'autant pas limiter, en offrant toutes les possibilités d'un orchestre symphonique (y compris de saisissants crescendos usant de la pédale d'expression).


Thomas Ospital interprétant la Fantaisie & Fugue sur le choral "Ad Nos" de Liszt
au soir du 06/05/2015 en l'église St-Eustache
"Le morceau le plus extraordinaire qui existe pour l'orgue". Voici comme Camille Saint-Saëns décrivait la Fantaisie & Fugue sur le choral "Ad Nos ad Salutarem Undam" de Franz Liszt (1850). Donné par Thomas Ospital, ce monolithe de presque trente minutes faisait office 
d'épicentre émotionnel du programme. S'installant à la console sans partition, l'organiste déploya durant toute cette oeuvre un phrasé à la fois serein et sincère, capable de moments assourdissants de puissance ou bien d'une tendre poésie de l'intime à la ferveur poignante, comme lors de l'apparition textuelle du choral, tiré de l'acte I de l'opéra Le Prophète (1849) de Giacomo Meyerbeer. Une interprétation dithyrambique d'une oeuvre splendide, que l'on a eu l'occasion d'entendre à de multiples reprises sous les doigts de Jean Guillou par le passé, symbole là aussi de la volonté de se fondre dans un certain héritage.
Parfait symbole de l'ambiance qui régnait ce soir là à St-Eustache, dès les dernières notes de la Fugue entendues, le public réserva une standing ovation nourrie à Thomas Ospital, preuve que malgré les affres qui ont affecté la succession de Jean Guillou, ses successeurs jouissent déjà d'une forte cote d'estime auprès du public.

Parfaite équité au sein de cette soirée, s'enchaînait alors une improvisation de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard. S'ouvrant sur des couleurs aux allures de bouillonnant magma sonore dans les graves du pédalier, l'improvisation se déroule alors dans des sonorités hallucinées, aux timbres rêches et acérés, faisant parfois appel aux mêmes procédés que son collègue Thomas Ospital. On retiendra notamment une section en forme de zig-zag entre tous les plans sonores de l'orgue, donnant ainsi une véritable sensation kaléidoscopique et ahurissante.
Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas
Ospital sur les toits de l'église St-Eustache

Après un bref discours de circonstance, les deux organistes se rejoignirent tous les deux sur le banc de la console afin de donner In Excelsis... brève pièce de Thierry Escaich (né en 1965), arrangement pour deux organistes du finale de l'oratorio Le Dernier Évangile (2000): Hymne de Gloire. Passés tous les deux par la classe d'improvisation d'Escaich au CNSMDP, il s'agissait pour les deux artistes de rendre hommage à leur professeur, tout en concluant la soirée en beauté. Et en effet, il s'agit là d'une pièce où l'angoisse et la fièvre si typique de l'univers escaichien se muent en une manifestation d'exaltation  jubilatoire, s'achevant en forme de tourbillon.

En bis, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas Ospital nous offrirent une dernière improvisation, à deux, en forme de résonance à la pièce d'Escaich qui précédait.
Montrant dans cette improvisation une grande complicité tant musicale que personnelle, les deux artistes auront démontré (et cela tout au long de la soirée) quel plaisir ils éprouvaient dans ces nouvelles fonctions, et quel bonheur les envahissait visiblement à la fois au contact de cet orgue, ainsi que lors de prestations communes.


...qui a dit que l'orgue était ringard et n'intéressait plus personne ?





Le site de Thomas Ospital: http://www.thomasospital.fr/

Le site de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard: http://www.bfmo.fr/

dimanche 3 mai 2015

Le glaçant "Penthesilea", septième opéra de Pascal Dusapin, s'impose à la Monnaie de Bruxelles

Théâtre de la Monnaie, Bruxelles - 7/04/2015


Penthesilea de Henrich von Kleist (1777 - 1811): l'histoire d'une rivalité, celle de la reine des Amazones, Penthésilée, et du héros grec Achille. C'est aussi l'histoire d'une lutte où l'amour et la mort se confondent sur fond de respect d'une loi séculaire, un drame où la violence est omniprésente, jusqu'au finale morbide, où Penthésilée dévore son amant en compagnie d'une horde de chiens... Voici le scénario qui occupe le compositeur Pascal Dusapin (né en 1955) depuis de nombreuses années, au point que le projet de ce septième opéra abouti enfin après un long temps de mûrissement dans l'esprit du compositeur. Il en rédigea d'ailleurs lui-même le livret (en allemand), en collaboration avec la dramaturge Beate Haeckle.

Georg Nigle (Achille) et Natascha Petrinsky (Penthésilée)

Tout commence par quelques gouttes de harpe (référence à la Grèce Antique, comme le seront par la suite les vents traités à la façon d'un aulos, ainsi que le cymbalum - rappel d'instruments disparus - ou bien le Chœur commentant l'action à la manière d'une Tragédie), la scène est jonchée de corps à terres, au milieu d'eux, Penthésilée (Natascha Petrinsky) se relève, mais ne chante pas. Seule sa confidente Prothoée (Marisol Montalvo) a la parole, enjoignant sa reine de garder son calme face à cette situation intenable, où celui qu'elle aime est également l'ennemi dont elle veut la mort, dictée par une loi ancestrale.



Dusapin tire de cette intrigue dure, une musique souvent rêche, âpre, acérée, à l'image des peaux en attente d'être tannées qui occupent le plateau. On est alors bien loin de l'hédonisme sonore de son opéra de chambre Passion (2006), ainsi que de ses dernières œuvres symphoniques Morning in Long Island (2011) et le concerto pour violon Aufgang (2013). Ici point de couleurs chatoyantes, de cuivres rutilants, tout est sombre, tranchant et angoissé.
Le compositeur privilégie notamment l'usage des timbres graves de l'orchestre (violoncelles, contrebasses, clarinettes basses et contrebasses), utilisés parfois de manières extrêmement rugueuse (les slaps et "grognements" en flattertzung de clarinette contrebasse).
On remarquera également que souvent ce ne sont que les instruments cités ci-dessus qui accompagnent les chanteurs (voir moins, ce qui abouti par moments à de surprenantes combinaisons, voix/clarinette basse par exemple), marquant ainsi l'expérience de Pascal Dusapin dans le domaine de l'opéra. En effet, jamais la fosse ne prend le pas sur le plateau, les tutti n'étant réservés qu'à d'intenses moments de l'actions, répartis de manière sporadique, les mettant ainsi considérablement en valeur (au contraire de Akhmatova (2011) de Bruno Mantovani ou des Pigeons d'Argile (2014) de Philippe Hurel, qui tombaient rapidement dans le défaut de tutti trop nombreux et puissants, menaçant ainsi la perception des voix et le cheminement narratif de l'oeuvre).

Franck Ollu et Pascal Dusapin, durant les répétitions de Penthesilea

Car ici, contrairement à Passion (la dernière production lyrique du compositeur), où le livret à la poésie énigmatique (autour du mythe d'Orphée) n'était qu'un prétexte à une musique d'une incroyable sensualité, dans Penthesilea la musique de Dusapin se met constamment au service du drame et de la narration, conférant ainsi à la réussite et à l’efficacité de l'oeuvre. Car qu'est-ce qu'un opéra si ce n'est avant tout du théâtre en musique ?  Le compositeur n'hésite d'ailleurs pas à introduire de nombreux figuralismes au sein de son oeuvre, en premier lieu duquel des sons électroniques (réalisés par Thierry Coduys) faisant entendre tantôt la pluie ou l'orage, tantôt ces flèches acérées fendant l'air et cette meute de chiens assoiffée de sang qui finira par dévorer le corps d'Achille.

Du côté des scènes marquantes, l'opéra atteint son climax lors de "l'anti" duo d'amour entre Achille et Penthésilée, avant que celui-ci ne défit celle qu'il aime dans un duel mortel duquel il ne ressortira pas vivant. On retiendra également la bouleversante scène finale, où la reine des Amazones réalise (enfin) qu'elle a tué l'homme qui l'aimait d'un amour véritable, avant de se donner elle-même la mort. Seule reste la voix parlée de Penthésilée (le chant s'efface au profit du drame), puis lorsque celle-ci a rendue son dernier soupir, le Chœur (hors scène) ne prononce que quelques mots ("Désolation, remord, espoir") sur quelques parcimonieuses et déchirantes harmonies, abandonnant le spectateur interdit face à ce spectacle d'anéantissement, le laissant ainsi réfléchir sur les résonances qu'une pareille thématique pourrait avoir à l'heure actuelle.

Le tableau final de Penthesilea, de Pascal Dusapin (la mort de Penthésilée)

Sur la plateau, la mezzo-soprano Natscha Petrinsky irradie de sa présence une scène qu'elle ne quittera pratiquement jamais en 1h30 de spectacle. Son timbre brûlant n'est pourtant pas ménagé par une écriture d'une grande difficulté technique. Toutefois au travers de cela, la mezzo réussit à faire ressortir non seulement toute la musicalité des lignes vocales du compositeur, mais aussi, grâce à un stupéfiant jeu d'actrice, à incarner d'une manière incandescente la détresse et la solitude de la reine des Amazones, tiraillée entre l'amour et le respect de la loi ancestrale. On aura également apprécié la Prothoé sensible de la soprano Marisol Montalvo (que l'on entendait il y a quelques mois dans Pli selon Pli de Boulez à la Philharmonie de Paris), ainsi que le contralto sépulcral de Eve-Maud Hubeaux en Grande Prêtresse.
Côté masculin, on s'attendait à retrouver le baryton Georg Nigle dans un des rôles principaux. Grand spécialiste de la musique de Dusapin (créateur notamment des rôles de Faust dans Faustus the Last Night, Lui de Passion, ou bien dédicataire du grand cycle de lieder O'Mensch!), c'est en fin connaisseur de cet univers qu'il aborde pour cette création le rôle d'Achille. Dans sa zone de confort, Georg Nigle nous offre une interprétation passionnée du personnage (parfois au confins de la folie), donnant ainsi un magistral répondant à Penthésilée. Les autres rôles masculins de la production étant bien trop peu développés, on mentionnera tout de même le Ulysse de Werner van Mechelen et le Bote de Wiard Witholt, complétant ainsi une distribution à l'avenant.

Georg Nigle (Achille) aux mains de Penthésilée (Natascha Petrinsky)

Remplaçant au pied levé Katie Mitchell (dont on se souvient de la mise en scène de Written on Skin de George Benjamin en 2012 pour le festival d'Aix en Provence), Pierre Audi nous offre pour Penthesilea un spectacle aussi glaçant que l'opéra, en noir et blanc, baignant dans une ambiance post-apocalyptique. D'un plateau quasi-nu où sèchent de larges peaux attendant d'être tannées (images reprises dans l'installation vidéo signée Mirjam Devriendt), le metteur en scène créé un espace à la sobriété glaçante, que l'on pourra peut-être trouver trop uniforme. On notera aussi que bien que le livret use de nombreuses scène violentes, la mise en scène joue quant à elle la carte de la suggestion (chose rare à l'heure actuelle), ce qui amène une distanciation bienvenue à certains moments de l'intrigue (et par là une universalité du propos), comme lors de la mort d'Achille.

Dans la fosse, l'Orchestre de la Monnaie placé sous la baguette souveraine de Franck Ollu (lui aussi grand spécialiste de la musique de Dusapin, dont il a notamment dirigé la création de Passion) créé à lui seul la tension et l'angoisse née de cette musique (incroyable investissement des clarinettes basses et contrebasses).

Franck Ollu à propos de Pascal Dusapin

En résumé, peut-être pas le plus bel opéra de Pascal Dusapin (on préférera sûrement l'hédonisme de Passion), mais tout de même une oeuvre intense, de superbe facture, qui plus est magnifiquement servie par des interprètes passionnés, et qui prouve décidément que Dusapin est un des compositeurs les plus séduisants à l'heure actuelle.

On en profitera également pour saluer le Théâtre de la Monnaie, qui met en streaming vidéo toutes ses productions (pendant un temps limité) après qu'elles aient été à l'affiche.
C'est grâce à cela que nous pouvons aujourd'hui écrire cet article... Alors profitons-en, Penthesilea est en replay sur le site internet de la Monnaie pour une dizaine de jours encore, jusqu'au 13 Mai !



Pour voir (et revoir) la création de Penthesilea de Pascal Dusapin:

http://www.lamonnaie.be/fr/mymm/related/event/430/media/2267/Penthesilea%20-%20Pascal%20Dusapin/



mardi 21 avril 2015

"Chambers", le nouvel album cross-over du dandy inclassable Chilly Gonzales

En 2012, la parution de Solo Piano II, sa dernière création "classique" tenait du chef d'oeuvre. Trois ans plus tard, l'inclassable pianiste, compositeur et producteur canadien Chilly Gonzales (né en 1972) revient aux instruments acoustiques avec un nouvel album paru sous son propre label (Gentle Threat): Chambers, ou comment "réinventer la musique de chambre romantique avec les moyens de la pop-music".



Rejoint pour l'occasion par les allemands du Kaiser Quartet, Chilly Gonzales se propose de trouver ici une manière avec laquelle ses deux langues maternelles (la pop et le classique), puissent se rejoindre, que l'un se nourrice de l'autre, et vice versa.

Les morceaux présentés se séparent en deux catégories: des mouvements vifs, usants de rythmiques implacables (malgré la présence d'un quintette avec piano), parfois de (fausses) techniques de samples, ainsi que des progressions d'accords fortes, comme dans Advantage Points, Green's Leaves, ou Sample This. Ou tout au contraire, figurent également de délicates élégies comme Freudian's Slippers, Cello Gonzales, ou Sweet Burden ("avec sa longue mélodies ambiguë inspirée par Gabriel Fauré").

Le clip de Advantage Points


Souvent l'écriture du quintette piano et cordes se fait en homorythmie, comme si Gonzales travaillait pour un véritable morceau de pop, un avantage et aussi un inconvénient: en effet, cela donne dans certains morceaux vifs une impression tout à fait ambivalente entre pop et savant, pleine d'énergie; tandis que cela amène souvent certains morceaux lents à des maladresses d'écriture, comme lorsque les instruments jouent à l'unisson sur la même octave comme tout le quatuor dans Sweet Burden, ou bien les deux violons dans Odessa. On notera également que (est-ce dû à la prise de son très proche des instruments ?) parfois le quatuor semble quelque peu fâché avec la justesse (Odessa, ou Sweet Burden).

Aussi, certains morceaux évoquent clairement l'univers de la pop, comme Sample This (ou, selon Gonzales, "vous devriez "headbanguer" sur cette chanson, et imaginer un très gros rappeur chanter par dessus"), ou bien Switchcraft, morceau basé sur un titre du rappeur Juicy J, aux couleurs héroïque, sur lesquelles viennent s'ajouter à l'ensemble une flûte et un cor.

Juicy J.

Car c'est là que réside tout le sel de ce nouvel album, se situant toujours entre deux eaux, entre savant et pop, il apporte des couleurs touchantes et inédites, au sein d'un style profondément personnel. En effet, Chilly Gonzales est un créateur à la pâte véritablement inimitable, que l'on reconnait immédiatement de ses albums de rap à ses tubes "brit-pop" (Working Together), aux deux albums Solo Piano, jusqu'à ce nouveau Chambers.

De plus, qu'il s'agisse de morceaux pulsés ou plus lents, tous les titres développent chacun des ambiances poétiques, tendres et mélancoliques (caractère commun aux Solo Piano), qui rapprochent Chilly Gonzales de ces compositeurs romantiques qu'il aime tant.

On remarquera également ce second degré cher à l'artiste, qui irrigue toute cette démarche de réinvestissement pop de la musique romantique: en effet, chaque morceau est dédié à un illustre personnage, qu'il soit du champ musical (Mendelssohn pour Cello Gonzales, jusqu'à lui-même "Jason Beck" pour Myth Me), ou bien qui en est totalement détaché (John McEnroe pour Advantage Points !).

mardi 31 mars 2015

Création de "Songs of Experience", chef d'oeuvre de Pascal Zavaro par le choeur Apostroph' et Elisabeth Glab, ainsi que du concerto "Un Poème" de Benoit Menut par la violoniste Stéphanie Moraly et l'Orchestre des Jeunes du CRR de Paris.

Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, Auditorium Marcel Landowski - 27/03/2015


Dans le cadre des "Journées du violon" au CRR de Paris, le vendredi 27 Mars, l'Orchestre des Jeunes placé sous la baguette du directeur de la maison Xavier Delette donnaient un programme haut en couleurs (en "tubes" et en créations !), auxquels se joignirent de nombreux autres artistes, des violonistes bien évidemment, mais également deux formations chorales.

Le concert proposait en miroir des pièces contemporaines du programme, deux œuvres de Camille Saint-Saëns : la fameuse Danse Macabre, ainsi que le plus rare double concerto pour violon et violoncelle La Muse et le Poète. On retiendra surtout de cette dernières les amples phrases solistes à la souplesse sensuelle et mélancolique, et la sonorité chaude des instrumentistes, notamment celle du violoncelliste Jérémie Billet.

Toutefois, tout l'intérêt de ce concert résidait dans les œuvres d'aujourd'hui : trois compositions de Pascal Zavaro ("Songs of Innocence" et "Songs of Experience", pour violon et chœur, également la courte "Danse de Shanghai" pour violon et orchestre), ainsi qu'un concerto de Benoit Menut, composé spécialement pour la violoniste Stéphanie Moraly.
 

Pascal Zavaro
Conçu comme un "concerto" pour violon et chœur, Songs of Innocence (2010), fut composé par Pascal Zavaro à l'initiative de Loïc Pierre, le directeur musical et fondateur du chœur Mikrokosmos, ensemble désormais emblématique de toute une génération de compositeurs. Cet effectif "violon et choeur" est par le fait très lié à Mikrokosmos, qui l'a mis en avant lors de différentes créations, comme dans le Stabat Mater (2004) de Nicolas Bacri, ou bien Nostalgia (2008) de Philippe Hersant. Une formation qui a fait des émules, notamment auprès de Karol Beffa avec son De Profundis (2010), pour violon/ou alto et chœur, composé à l'origine pour l'éphémère Chœur Contrastes.
Couverture peinte par William Blake pour son recueil Songs of Innocence

Songs of Innocence se base sur trois poèmes du britannique William Blake (1757-1827), tirés de son fameux recueil Songs of Innocence & of Experience (1789-1794). Poète aux visions hallucinées et prophétiques, il inspire ici à Pascal Zavaro une musique d'une immense finesse et délicatesse, qui n'hésite pourtant pas à bouleverser l'auditeur.

Le premier mouvement The Sick Rose, nous invite à une méditation "végétale" aux climats changeants, dont les harmonies aux diatonisme exacerbé évoquent par moments Thomas Adès (au début de l’œuvre), avant de trouver dans la plénitude de la seconde partie un univers plus profondément personnel et original (même par rapport aux œuvres antérieures du compositeur). Le court second mouvement The Fly, n'hésite pas à utiliser une expression clair aux figuralismes marqués, afin d'évoquer les pensées douces amer d'une simple mouche. Tandis que le finale Night, bouleversante ode contemplative à la nature, figure la nuit se mouvant en une apaisante consolation. L'écriture y semble figurer un hiératique choral, où le violon vient comme un rai de lumière, percer l'obscurité.

Night, le finale de Songs of Innocence de Pascal Zavaro, interprété par Eva Zavaro en compagnie du choeur Mikrokosmos

Composé à l'origine pour un chœur d'une quarantaine de personnes, Songs of Innocence est donné ici pour la première fois dans un effectif plus restreint (composé de huit chanteurs étudiants du CRR de Paris, dirigés par Olivier Bardot), un allègement qui exalte encore davantage les aspects chambristes de l’œuvre, instaurant non pas un rapport de forces similaire à un concerto traditionnel, mais un véritable dialogue entre les voix et le violon, qui est ici considéré comme un chanteur à part entière.
Quand au violon du jeune Bilal al Nemr (étudiant au CNSMDP), sa sonorité "verte" ne fait pas oublier la perfection d'Elisabeth Glab (gravée au disque récemment avec Mikrokosmos), quoi qu'elle tente par moments de s'en émanciper, avec un certain panache.


Eva Zavaro
Créé en 2007 à l'occasion du concours de composition du Festival Présences "délocalisé" pour l'occasion en Chine, Danse de Shanghai répond aux critères du concours, à savoir une courte pièce d'environ six minutes, pour ehru et orchestre (d'autres compositeurs proches esthétiquement de Zavaro avaient répondu présents à cet évènement, comme Guillaume Connesson et son nocturne Yu Yan). Instrument traditionnel, le ehru, sorte de petit violon que l'on joue sur les genoux, est un instrument dont la sonorité avait déjà frappé le compositeur par le passé, notamment dans le poétique solo de violoncelle, tiré du second mouvement lent de sa Silicon Music, concerto pour violon électrique et ensemble (1998).

La version originale de Danse de Shanghai,  pour ehru et orchestre

Pour le concert de ce soir, le ehru fut remplacé par son cousin occidental - le violon, interprété ici par la fille du compositeur, Eva Zavaro.
Toutefois, cette pièce montre une volonté réelle d'évoquer (voir d'imiter) le ehru dans les calmes interstices où le violon prend la parole (à l'aide de divers gammes pentatoniques, d'accents caractéristiques), comme le rappelle la soliste avant le début de l’œuvre. En alternance avec ces moments méditatifs où le violon/ehru semble improviser, s'opposent de frénétiques tuttis où le soliste est absent, laissant l'orchestre "danser" à sa place.
Eva Zavaro montre ici un remarquable investissement, où les phrasés sont très accentués comme la musique le requiert, et la sonorité intense et expressive.


Elisabeth Glab, l'ensemble vocal Apostroph', et Pascal Zavaro, durant les répétitions de Songs of Experience

 Mais ce qui constituait le plat de résistance en ce qui concerne les œuvres de Pascal Zavaro données ce soir se trouvait dans les Songs of Experience, qui établissent à notre sens une des pièces les plus marquantes du compositeur. Cette œuvre était donnée ce soir en création par Elisabeth Glab et les huit chanteurs de l'ensemble Apostroph' conduits par France de la Hamelinaye (premiers musiciens confirmés à jouer durant cette soirée - et dont la majeure partie de l'effectif est passée par Mikrokosmos). Cette pièce constitue le second "concerto" pour violon et chœur du compositeur. Miroir des Songs of Innocence, cette nouvelle œuvre est également basée sur les poèmes de l'anglais William Blake. 
 
Couverture peinte par Williamn Blake pour son recueil Songs of Experience
Le premier mouvement The Ecchoing Green s'ouvre sur de lumineux arpèges de violon, soutenant des harmonies à la clarté toute "adèsienne" là encore. La pièce se caractérise par un usage parfois spectaculaire des huit voix solistes du groupe vocale, aboutissant sur la réitération des "On the ecchoing green" ("Sur ce vert pré rayonnant") à de spectaculaires effets de réverbération tout à fait sidérants. Dès ce premier mouvement, Pascal Zavaro amorce un virage esthétique: en effet, il se rapproche dans cette pièce (et par la suite de l’œuvre) de sa première période créatrice, que l'on pourrait qualifier "d'américaine" (en lien avec les musiciens minimalistes). La nervosité rythmique et les harmonies acidulées de ses œuvres antérieures se font sentir dès cette ouverture, et la parenté avec son Déjeuner sur l'Herbe, composé en 2001 pour les Swingle Singers est évidente.

La seconde pièce du cycle, A Cradle Song (Une berceuse), s'ouvre sur une large et dense pâte sonore (notamment au début sur "Sweet dreams"). Une musique qui se poursuivra ainsi dans une grande plénitude, aux harmonies à fois riches, et d'une grande tendresse. Tandis que le violon d'Elisabeth Glab, contrairement à la pièce précédente où il se caractérisait par d'amples gestes volubiles, se fond ici en une parfaite symbiose avec les voix, usant notamment d’aériennes doubles cordes jouées en harmoniques (là aussi un rappel de Silicon Music).

Pascal Zavaro, France de la Hamelinaye et Elisabeth Glab, lors des répétitions de Songs of Experience

Quant au finale The Birds, il apparait comme un festival coloré, où le compositeur n'hésite pas à repousser ses limites et à apparaître clairement "brit-pop". De l'initial solo de ténor au swing implacable ("Where thou dwellest in what grove"), rejoint ensuite par les basses ("Tell me fair one tell me love"), puis par le violon qui apparait alors presque comme un élément intrusif qui chercherait à se faire une place au sein de ces textures délicieusement sucrées. Dans cette pièce, les passages les plus entraînants alternent avec de diaboliques polyrythmies sur des sortes de fausses cadences parfaites s'entrecroisant au voix de femmes ("for thee"/ "sorrow") sur des tapis d'accords de sixtes et quartes aux voix d'hommes, rappels là aussi de l'esthétique du Déjeuner sur l'Herbe, ainsi que des polyphonies en écho de Ecchoing Green
Petit à petit, le violon s'intègre de plus en plus aux voix, pour s'achever dans un discret soupir commun avec la voix d'alto solo, en fusion totale avec les chanteurs.

On aura eu de cesse de s'enthousiasmer pour l'excellentissime chœur de chambre Apostroph' et ses huit solistes de haute volée. Mention spéciale au ténor Samuel Rouffy, qui par son éloquence et son engagement donna (notamment dans le finale) un relief si particulier à la pièce. On aura également pu avoir la démonstration ce soir qu'à 25 ans seulement, France de la Hamelinaye a réussi son pari de fonder un ensemble de (très) haut niveau, dont le plus clair de la programmation est consacré à la création contemporaine, et qui (non seulement de les jouer), s'enthousiasme et prend un plaisir communicatif à chanter cette musique si jouissive, que l'on espèrera réentendre au plus vite !


Benoit Menut







Après un tel feu d'artifice, le concerto pour violon et orchestre Un Poème de Benoit Menut parait moins éclatant. Basé sur un poème d'Anthony Gachet, le concerto en reprend non seulement la structure, mais parfois même les courbes mélodiques du texte lui-même. 
Stéphanie Moraly
Débutant dans une sorte de magma orchestral, la musique est véritablement "lancée" par une obsédante boucle de clarinette, amenant à un large crescendo, à la fin duquel entre le violon. 

Sous-titré "rhapsodie", le violon est en effet exploité dans une veine lyrique, au phrasé ample et large. L'orchestre quant à lui est le plus souvent traité par ajout successif de strates sonores, afin de donner à entendre un univers parfois fourmillant, aux harmonies denses, où se font entendre à la fois Greif (avec lequel le compositeur étudia plusieurs années), Berg, ou bien Schostakovich. 
Toutefois, on trouvera que cette œuvre d'un seul tenant soit écrite peut-être trop dans les mêmes textures, les mêmes climats, sans ménager de moments de surprises pour l'auditeur. Seul intervient à la fin de l’œuvre un large choral de cuivres au sonorités immenses, apportant un regain de surprise à une œuvre qui ne manque pourtant pas de savoir faire. 

Au violon, Stéphanie Moraly prend elle aussi un plaisir manifeste à interpréter cette œuvre qui lui est dédiée, poursuivant ainsi une exploration d'une certaine musique contemporaine française, avec laquelle est s'est familiarisée, notamment en 2010, en enregistrant (en compagnie du pianiste Romain David) l'intégral de l’œuvre pour violon et piano d'Olivier Greif.




La page facebook de l'ensemble Apostroph':
https://www.facebook.com/pages/Apostroph-ensemble-vocal/107438102608426?sk=timeline

Une interview du compositeur Benoit Menut: 
https://www.youtube.com/watch?v=BBJTtZWQaKU