mercredi 25 février 2015

La Maîtrise de Radio-France, l'Orchestre de Chambre de Lausanne et Bertrand de Billy dans les Trois Petites Liturgies de la Présence Divine, chef d'oeuvre d'Olivier Messiaen, encadré par des pièces de Fauré et Mozart

Maison de la Radio (Auditorium) – 22/02/2015

Tout juste revenu de deux concerts en Suisse au début de la semaine, la Maîtrise de Radio-France,  l’Orchestre de Chambre de Lausanne et Bertrand de Billy, faisaient halte à la Maison de la Radio afin de donner un programme d’une extrême cohérence :  l’ultime œuvre pour orchestre de Fauré Masques et Bergamasques, suivi du célèbre Concerto pour flûte et harpe de Mozart, puis en deuxième partie, pièce de choix du programme, les Trois Petites Liturgies de la Présence Divine d’Olivier Messiaen.

Gabriel Fauré à son bureau au Conservatoire (1918)

Commande du Prince de Monaco Albert Ier, et créé en 1919 par les Concerts du Conservatoire dirigés par Philippe Gaubert, Masques et Bergamasques (op.112) de Gabriel Fauré s’inscrit au sein d’un divertissement chorégraphique autour des Fêtes Galantes de Paul Verlaine. Il s’agit pour la majeure partie de l’œuvre d’un recyclage de tout ou partie de pièces plus anciennes du compositeur (seule la Pastorale finale est entièrement originale). Dès l’Ouverture tout en finesse et en élégance, Fauré montre son attachement à la musique de Mozart, dont la simplicité et la candeur irrigueront la pièce entière. On appréciera également les clins d’œil plus appuyés, comme ces clarinettes toutes mozartiennes ouvrant le Menuet. Bertrand de Billy sait apporter un véritable esprit chambriste et vivifiant à cette œuvre : sa direction souple laissant respirer une musique  qui sans cela s’en retrouverait à cours d’émotion; d’autant que l’effectif allégé de l’Orchestre de Chambre de Lausanne (5 violoncelles, 4 contrebasses) est véritablement « taillé » pour des œuvres comme celle-ci.

La flûtiste Sarah Louvion, © Christine Schneider
Composé en 1778 pour le Comte de Guisnes et sa fille, le Concerto pour flûte et harpe (KV.299) de W.A. Mozart, avait pour but de mettre en valeur le jeu instrumental de ses commanditaires, grands amateurs, sans volonté de virtuosité excessive. Cela se retrouve au sein d’une musique pleine de grâce, d’élégance, et de simplicité. Du duo Sarah Louvion (flûte), et Letizia Belmondo (harpe), on retiendra de beaux moments de complicité et d’entente musicale, exacerbés dans les cadences. De la direction de Bertrand de Billy on aura apprécié la légèreté des accents (I), la souplesse des timbres (II), et la fraîcheur du finale, tout en contrastes, grâce à des solistes au jeu espiègle et malicieux. Véritable « tube », l’Andantino central interprété tout en finesse, a fait la part belle au superbe phrasé de la flûte de Sarah Louvion. 
En bis, les deux solistes nous ont offert une touchante Pantomime, mélodie tirée d’Orphée et Eurydice de Gluck.


La Maîtrise de Radio-France, l'Orchestre de Chambre de Lausanne, sous la direction de Bertrand de Billy, interprétant les Trois Petites Liturgies de la Présence Divine d'Olivier Messiaen, le 22/02/2015 à l'Auditorium de la Maison de la Radio.

© concert.arte.tv

Olivier Messiaen
« J’ai une grande admiration pour les voix ravissantes de la Maîtrise de Radio France. Ces jeunes filles ont une pureté de son et une musicalité absolument inégalables. Aussi, chaque fois qu’on a donné à Paris ou en province française mes Trois Petites Liturgies de la Présence divine, c’est à la Maîtrise que j’ai fait appel, pour les parties de chœur que comporte cette œuvre. Et chaque fois, c’était un enchantement de jeunesse et de joie ». Cette phrase, du compositeur Olivier Messiaen (1908-1992), aurait pu s’appliquer au concert de ce soir, tant l’interprétation de ses Trois Petites Liturgies de la Présence Divine fut dithyrambique. Basé sur des textes du compositeur lui-même, les Liturgies offrent un instrumentarium rare : un chœur de femmes (pratiquement tout le temps à l’unisson), cordes, piano (Claire Désert), ondes-Martenot (Valérie Hartmann-Claverie, qui tint une des parties d’ondes lors de la création de Saint-François d’Assise en 1983), célesta, vibraphone, et 3 percussionnistes. Composée en pleine seconde guerre mondiale (1943-44), cette œuvre baigne pourtant dans une rayonnante douceur, exacerbée ce soir par la direction de Bertrand de Billy, et par la poésie des voix de la Maîtrise de Radio-France. 
Quant aux solistes instrumentaux, on se souviendra particulièrement de la prestation de Claire Désert, dont l’investissement sur chaque note se fit sentir, au sein d’une partition semée d’embuches. On remarquera aussi les passages solo tout en légèreté du 1er violon de l’orchestre, François Sochard. Mais ce sont surtout des superbes alliages entre cet Orchestre de Chambre de Lausanne et la Maîtrise de Radio-France dont on se souviendra : Dans la première liturgie Antienne de la Conversation Intérieure, De Billy réussit à tirer dans les moments pianissimo des couleurs d’une infinie tendresse, tout en contraste avec les interventions bondissantes du violon solo. A l’opposé, dans la seconde pièce Séquence du Verbe, Cantique Divin, c’est une musique d’une incroyable jubilation qui se fait entendre, dont les motifs pentatoniques se transforment petit à petit en une véritable euphorie (tournoiement frénétique sur « pour nous »), entrecoupés de véritables montées de couleurs au tempo ralenti. Quant à la Psalmodie de l’Ubiquité par l’Amour, elle débute par une saisissante impression de cri parlé/chanté, puis se développe en séquences contrastées, tantôt rythmiques, tantôt éthérées. Ici De Billy sculpte véritablement le son avec chaque geste, donnant par moment l’impression de courbes sonores se déployant et se repliant sur elles-mêmes.

Un superbe concert donc, avec au premier plan une Maîtrise de Radio-France au diapason, au service d’une musique à l’enivrante beauté.



La captation du concert à revoir sur le site d'arte : http://concert.arte.tv/fr/lorchestre-de-chambre-de-lausanne-au-grand-auditorium-de-paris

Pour en savoir plus sur les Trois Petites Liturgies de Messiaen :
http://maisondelaradio.fr/article/les-petites-liturgies-de-messiaen

dimanche 22 février 2015

Présences 2015 "Les deux Amériques": Entre émerveillement, émotion, et recueillement, avec des oeuvres de Benzecry, Lieberson, Ives, et Adams.

Maison de la Radio (Auditorium) - 19/02/2015

C'était un programme d'une grande densité qui nous était proposé ce soir-là à Radio-France pour le 11e concert du Festival Présences, dont la thématique est cette année "Les deux Amériques". Toutes les forces "maison" étaient réunies : l'Orchestre National, le Chœur et la Maîtrise, dirigés ce soir par le chef originaire du Costa-Rica, Giancarlo Guerrero.

 Le chef Giancarlo Guerrero

Le concert était ouvert par la création mondiale de Madre Tierra, diptyque pour orchestre du compositeur argentin Esteban Benzecry (dont on avait pu entendre lors du concert d'ouverture de ce même festival, - également en création - un Concerto pour violoncelle par Gauthier Capuçon, et dont on entendra aussi les Rituales Amerindios lors du concert de clôture), s'en suivaient les Neruda Songs, long cycle de mélodies pour mezzo et orchestre du compositeur américain Peter Lieberson; puis après l'entracte la célèbre Unanswered Question de Charles Ives, pour se conclure avec la création française du chef-d’œuvre de John Adams On the Transmigration of Souls.

 Le chef Giancarlo Guerrero et le compositeur Esteban Benzecry à Radio-France, lors des répétitions de Madre Tierra.

Inspiré par la culture et la mythologie des peuples amérindiens Inca et Mapuche (cf la note de programme détaillée de l’œuvre sur le site du compositeur), Madre Tierra (Terre Mère) d'Esteban Benzecry s'ouvre sur des couleurs solaires, dont s'extrait un rayonnant ostinato de glockenspiel, aussitôt absorbé dans une pâte orchestrale dense, d'où émergent des soli de vents. Les cordes y sont traitées souvent en de grands aplats sonores, tandis que les bois y font entendre des chants d'oiseaux imaginaires, ou bien des évocations d'instruments traditionnels, tels que les flûtes quenas et zampollas, pour lesquels sont notamment utilisés des intervalles micro-tonaux. Une place de choix est également laissée aux percussions non-tempérées (chimes, blocks, waterphone, guerro etc), qui par leur utilisation laisse entrevoir un ailleurs rêvé et/ou vécu, qui cependant ne tombe jamais dans le cliché carte-postale.
On est alors plongé dans une musique d'une grande virtuosité d'écriture (un art consommé de l'orchestration), extrêmement colorée, dont la parenté avec la démarche de Jean-Louis Florentz est saillante (l’Éthiopie pour Florentz, l'Amérique du Sud chez Benzecry).
D'une grande diversité d'atmosphères, on passe ainsi de plages étales où l'auditeur est plongé dans une nature luxuriante, à des passages où la pulsation se fait beaucoup plus marquée, réminiscences de musiques de danses (grosse caisse sur le temps, cuivres au premier plan). On se régalera également de quelques clin d’œil, comme des passages pouvant évoquer des textures spectrales, jusqu'à un souvenir de la Turangâlila Symphonie de Messiaen dans le premier mouvement Pachamama.
Conçu comme un véritable rituel, le second mouvement Ñuke Mapu, se conclu par le motif de glockenspiel sur lequel s'était ouverte l’œuvre, superposé à un hiératique motif choral d'une grande douceur, entendu à plusieurs reprises le long de la pièce.
Une œuvre de superbe facture, à laquelle on ne peut souhaiter qu'une reprise !



Lorraine Hunt-Lieberson et Peter Lieberson

La mezzo-soprano Kelley O'Connor

La soirée se poursuivait avec l’œuvre du compositeur américain Peter Lieberson, musicien encore fort peu connu et joué en France. Neruda Songs, écrits pour sa compagne Lorraine Hunt-Lieberson, sont un véritable chant d'amour dédié à celle qui fut son épouse et sa muse.Tirés des Cien Sonetos de Amor de Pablo Neruda que le poète chilien dédia à sa troisième épouse, les mots s'adressent ici directement à la femme du compositeur. Créés en 2005 à Los-Angeles sous la baguette de Esa-Pekka Salonen, la pièce fut défendue par Lorraine Hunt-Lieberson durant une année (au disque et au concert), avant qu'elle ne s'éteigne en Juillet 2006, à l'âge de 52 ans, des suites d'un cancer du sein.
Kelley O'Connor est une habitué de ces Neruda Songs, qu'elle a notamment enregistrés en 2011 sous la baguette de Robert Spano, et qu'elle a eu la chance de travailler avec le compositeur avant sa disparition cette même année. Elle se saisit de la pièce en tragédienne, et s'applique à accentuer de sa voix pulpeuse certains accents théâtraux présents dans la partition.
Toutefois, l’œuvre elle-même souffre de certaines boursoufflures, et se mets peut-être trop à notre sens, dans un esprit littéralement post-romantique et opératique "dix-neuvièmiste": L'orchestre étant simplement là pour se fondre et accompagner la voix. On sent dans cette musique un grand héritage de l'opéra italien type Puccini, aussi une influence d'Alban Berg, dans les textures orchestrales notamment, mais également un lien marqué avec la musique de John Adams, chose intéressante lorsque l'on sait que Lorraine Hunt-Lieberson créa l'oratorio de la Nativité El Niño (2000), et que Kelley O'Connor créa le rôle titre de Marie-Madeleine dans son pendant, l'oratorio de la Passion The Gospel According to the Other Mary (2012).  
On retiendra malgré tout de beaux moments dans la partition, comme les interjections de bois dans le n°2 Amor, amor, las nubes a la torre del cielo ("Amour, amour, les nuages ont montés jusqu'à la tour du ciel"), la superbe ligne vocale du n°3 No estés lejos de mí un solo día ("Ne pars pas, même pour un seul jour"), l'orchestration "latine" du n°4 Ya eres mía. Reposa con tu sueño en mi sueño ("Et maintenant tu es mienne, repose avec ton rêve dans mon rêve"). Le dernier des cinq poèmes étant le plus beau musicalement, mais également le plus terrible et prophétique pour Lorraine Hunt, Amor mío, si muero y tú no mueres ("Mon amour, si je meurs et que tu ne meurs pas"). On ne peut qu'être touché par ce paisible choral à la tendresse consolatrice, et ces mots si lourds de sens lorsque l'on connait le contexte de la composition de ces Songs.


Charles Ives

La seconde partie du programme nous faisait entendre pour commencer l’intrigante pièce de Charles Ives The Unanswered Question (La question sans réponse). Cette courte pièce se construit en trois plans distincts : une trompette solo (Marc Bauer "spatialisé" pour l'occasion en haut de l'Auditorium), un petit ensemble de bois (au milieu de l'orchestre "normal", et dirigé spécialement par le violoncelliste Carlos Dourthé, car requérant un tempo différent des autres instruments), et enfin le reste de l'orchestre, dont un important choral de cordes nimbe la mélodie de la trompette et les  interjections (parfois violentes) des bois.
Alors que le chef n'est pas encore entré sur scène, les cordes commencent à jouer à peine après avoir terminé de s'accorder. Grande théâtralisation afin de mettre en avant cet étrange objet musical qu'est The Unanswered Question. Ce thème aux cordes et cette obsédante mélodie de trompette sont donc particulièrement mis en valeur, car nous les entendrons par la suite dans la Transmigration of Souls de John Adams. Un moment poétique, à la fois intime et intriguant, en prélude à la grande fresque chorale qui suit.

John Adams

Composé peu après les attentats du 11 Septembre 2001, et en lien avec ceux-ci, créé en 2002 par le New-York Philharmonic et Lorin Maazel, On the Transmigration of Souls (De la Transmigration des Âmes) de John Adams requiert un très large effectif : grand orchestre (comprenant un célesta - joué ce soir par Dimitri Vassilakis, ainsi que deux pianos, dont un accordé en 1/4 de tons), grand chœur mixte, chœur d'enfants, et sons fixés. Les textes utilisés par le compositeur peuvent être vu en plusieurs catégories : tout d'abord une litanie de noms de disparus diffusés par les hauts-parleurs, ainsi que des phrases recueillis sur des petits feuillets placardés autour de Ground Zero par des proches des victimes (chantés par le chœur). Des mots à la déchirante simplicité, tels que "Rentre vite Louie, nous t'aimons", ou bien "Elle était la prunelle de mes yeux". Pour le compositeur, cette œuvre ne se veut pas un Requiem ou un Mémorial dédié spécifiquement à la mémoire des victimes des attentats, mais véritablement comme un espace musical en trois dimension "un endroit où vous pouvez aller et vous retrouver seul avec vos pensées et vos émotions", dixit Adams lui-même.
Un endroit où vous pouvez aller et vous retrouver seul avec vos pensées et vos émotions. - See more at: http://www.maisondelaradio.fr/les-entretiens-de-presences-5-adams#sthash.hZpncC6g.dpuf
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Joué "attacca" sans pause avec la pièce de Ives, On the Transmigration of Souls débute par environ une minute de bruits urbains, klaxons, voitures, rires, sirènes.. Autant de choses qu'un citadin "n'entend" plus forcément. Puis lentement, comme émergent de nulle part, le chœur et la maîtrise entrent. On est saisi d'emblée par des couleurs hallucinées dû notamment à l'usage d'un groupe de cordes accordés avec un quart de ton de différence, ainsi qu'un ensemble de percussions accordées en tempérament mésotonique, typique du John Adams de ces dernières années.
On ne dira pas assez combien était intelligente l'idée de programmer The Unanswered Question en prélude à cette œuvre. En effet, au bout de quelques minutes de musique, Adams cite textuellement la pièce de Ives, nimbée du tintement des percussions. Le trompettiste solo Marc Bauer était d'ailleurs resté seul en haut de l'Auditorium afin de jouer le début de Transmigration. Ces textures sonores totalement irréelles feront voyager l'auditeur durant les 25min de ce véritable "espace mémoriel", se concluant sur une dernière litanie de noms, à laquelle sur superpose encore une fois le thème des cordes de la Unanswered Question de Ives. L'ultime voix entendu (une femme prononçant simplement les mots "I love you"), la pièce se referme sur les bruits citadins entendus au début.
Les dernières notes s'étant évanouies, c'est après un long silence de cathédrale comme on en entend rarement en concert, que le public de Radio-France accueillit chaleureusement cette œuvre bouleversante, qui était (malgré sa création il y a 13 ans) donnée ce soir en création française.



La captation du concert par France Musique :
http://www.francemusique.fr/emission/les-jeudis-du-national/2014-2015/charles-ives-john-adams-et-une-creation-mondiale-d-esteban-benzecry-au-programme-de-ce

Pour en savoir plus sur Esteban Benzecry et sa création Madre Tierra :
http://estebanbenzecry.com/eng/#top
http://www.maisondelaradio.fr/article/les-entretiens-de-presences-1-benzecry

Pour en savoir plus sur On the Transmigration of Souls de John Adams : 
http://www.maisondelaradio.fr/les-entretiens-de-presences-5-adams






dimanche 1 février 2015

"Aufgang", concerto pour violon de Pascal Dusapin, par Renaud Capuçon, l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, et Myung-Whun Chung

Philharmonie de Paris - 26/01/2015 


 © The New-York Times

     Le premier concert de Myung-Whun Chung et de l'Orchestre Philharmonique de Radio-France à la Philharmonie de Paris était placé sous le signe de la création, avec la première française de Aufgang ("Élévation" en français), concerto pour violon et orchestre du compositeur français Pascal Dusapin, interprété par son créateur et dédicataire, le violoniste Renaud Capuçon.

Année chargée pour Pascal Dusapin (le compositeur fêtant son soixantième anniversaire) qui se voit programmé en de multiples endroits: on pourra noter en premier lieu la création de son septième opéra "Penthesilea" (d'après Kleist) à la Monnaie de Bruxelles, une reprise à Mayence de son opéra "Perelà, uomo di fumo" (2003), une création pour le violon solo de Caroline Widmann à Witten, une autre première, celle en mai d'un concerto pour violoncelle ("An Idea of the North") pour Alisa Weilerstein et le Chicago Symphony; ou bien encore à la Philharmonie de Paris ces prochains mois, en mars la création française d'une suite pour soprano et orchestre tirée de "Penthesilea" ("Wenn Du dem Wind..."), et une "Disputatio" (également en création) pour chœur et orchestre de chambre, basée sur un dialogue entre Alcuin de York et Pépin le Bref !

Entamé il y a plusieurs années, créé finalement à Cologne en 2013 par Renaud Capuçon et Jukka-Pekka Saraste , ce concerto a déjà été joué à de nombreuses reprises à travers le monde, mais n'arrive que maintenant en France.

De facture très classique en trois mouvements distincts (modéré - lent - vif), cette pièce apparait dès maintenant comme une œuvre significative au sein du catalogue du compositeur.

  
 © medici.tv

     Le premier mouvement s'ouvre sur une longue mélodie suspendue dans le suraigu du violon solo, en contraste avec les sombres lignes de violoncelles et de clarinette basse, contrepoint qui progressivement s'étoffe afin de devenir une texture orchestrale enveloppante.
Après ce lent passage introductif s'ouvre une partie plus vive, où s'entrechoquent les rythmes iambiques si chers à Dusapin, aux mélismes au parfum délicieusement modal. Le mouvement s'achève dans une partie lente aux sonorités atmosphériques annonçant le II.

Car c'est dans ce second mouvement, qui selon Renaud Capuçon, emporte le spectateur à chaque représentation, que réside le cœur émotionnel de l’œuvre.
S'ouvrant sur de grands motifs en gammes descendants diffractés au violon solo et à l'orchestre, aux résonances cuivrées, une section plus lente s'amorce, aux sonorités de pizzicati de cordes, évoquant certains passages de Passion (2006). S'ensuit alors un long cantilène, une mélodie dans le médium/grave du violon, d'une simplicité et d'une candeur que l'on a peu l'habitude d'entendre en musique contemporaine. Sur un sombre tapis de cordes graves, le violon commence à proprement parler son "élévation".
Puis soudain tout s'accélère, et ce climat méditatif abouti sur un moment plus agité, où est notamment mis à rude épreuve le 1er violon de l'orchestre (impassible Svetlin Roussev), dans une sorte de duel violonistique avec le soliste. On semble alors entendre un véritable violon à 10 cordes, tellement les tessitures des deux instruments solistes sont entremêlées.
Après un bref rappel du début du mouvement, c'est le retour de la lente et suave mélodie du cantilène, sur lequel vient cette fois s'ajouter une partie de flûte soliste à l'esprit et au phrasé quasi-improvisé (Magali Mosnier impressionnante d'engagement), en contraste avec la lente mélodie aux contours simples du violon, provoquant alors un dialogue poétique à l'expressivité exacerbée. Ce passage s'évanouit alors dans les limbes des harmoniques des violons rehaussés par la crotale jouée à l'archet, renforçant ces sonorités orchestrales, donnant l'impression de sortir parfois tout droit d'un synthétiseur.
Tandis que le mouvement s'achève sur une amorce de l'esprit plus vif du troisième mouvement..

En comparaison, le finale semble plus terne. Ne contenant pas de moments aussi "inspirés" que les deux mouvements précédents, il apparait comme une démonstration de pur virtuosité pour le soliste. L’œuvre se conclu d'ailleurs sur une fin abrupte, laissant l'auditeur quelque peu sur sa faim.

 © Raolo Reversi

     On notera le remarquable investissement des musiciens, et au premier rang duquel, Renaud Capuçon. Depuis quelques années, Renaud Capuçon mène une véritable campagne de créations (inspiré par Gidon Kremer), et a commandité des concertos à de nombreux compositeurs, d'esthétiques profondément différentes, tel que Thierry Escaich, Karol Beffa, Bruno Mantovani, Pascal Dusapin, Wolfgang Rihm, et bientôt Guillaume Connesson. Son investissement et son enthousiasme vis à vis des créations qu'il suscite est immense, et cela se sent, à la fois dans sa manière lyrique et chaleureuse de jouer son superbe "Guarneri del Gesu" (autrefois propriété d'Isaac Stern); mais cela se remarque également chez les compositeurs, qui aboutissent à chaque fois à des pièces de superbe facture, comme ce Aufgang de Dusapin.

http://fr.medici.tv/#!/myung-whun-chung-renaud-capucon-dusapin-brahms