mardi 31 mars 2015

Création de "Songs of Experience", chef d'oeuvre de Pascal Zavaro par le choeur Apostroph' et Elisabeth Glab, ainsi que du concerto "Un Poème" de Benoit Menut par la violoniste Stéphanie Moraly et l'Orchestre des Jeunes du CRR de Paris.

Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, Auditorium Marcel Landowski - 27/03/2015


Dans le cadre des "Journées du violon" au CRR de Paris, le vendredi 27 Mars, l'Orchestre des Jeunes placé sous la baguette du directeur de la maison Xavier Delette donnaient un programme haut en couleurs (en "tubes" et en créations !), auxquels se joignirent de nombreux autres artistes, des violonistes bien évidemment, mais également deux formations chorales.

Le concert proposait en miroir des pièces contemporaines du programme, deux œuvres de Camille Saint-Saëns : la fameuse Danse Macabre, ainsi que le plus rare double concerto pour violon et violoncelle La Muse et le Poète. On retiendra surtout de cette dernières les amples phrases solistes à la souplesse sensuelle et mélancolique, et la sonorité chaude des instrumentistes, notamment celle du violoncelliste Jérémie Billet.

Toutefois, tout l'intérêt de ce concert résidait dans les œuvres d'aujourd'hui : trois compositions de Pascal Zavaro ("Songs of Innocence" et "Songs of Experience", pour violon et chœur, également la courte "Danse de Shanghai" pour violon et orchestre), ainsi qu'un concerto de Benoit Menut, composé spécialement pour la violoniste Stéphanie Moraly.
 

Pascal Zavaro
Conçu comme un "concerto" pour violon et chœur, Songs of Innocence (2010), fut composé par Pascal Zavaro à l'initiative de Loïc Pierre, le directeur musical et fondateur du chœur Mikrokosmos, ensemble désormais emblématique de toute une génération de compositeurs. Cet effectif "violon et choeur" est par le fait très lié à Mikrokosmos, qui l'a mis en avant lors de différentes créations, comme dans le Stabat Mater (2004) de Nicolas Bacri, ou bien Nostalgia (2008) de Philippe Hersant. Une formation qui a fait des émules, notamment auprès de Karol Beffa avec son De Profundis (2010), pour violon/ou alto et chœur, composé à l'origine pour l'éphémère Chœur Contrastes.
Couverture peinte par William Blake pour son recueil Songs of Innocence

Songs of Innocence se base sur trois poèmes du britannique William Blake (1757-1827), tirés de son fameux recueil Songs of Innocence & of Experience (1789-1794). Poète aux visions hallucinées et prophétiques, il inspire ici à Pascal Zavaro une musique d'une immense finesse et délicatesse, qui n'hésite pourtant pas à bouleverser l'auditeur.

Le premier mouvement The Sick Rose, nous invite à une méditation "végétale" aux climats changeants, dont les harmonies aux diatonisme exacerbé évoquent par moments Thomas Adès (au début de l’œuvre), avant de trouver dans la plénitude de la seconde partie un univers plus profondément personnel et original (même par rapport aux œuvres antérieures du compositeur). Le court second mouvement The Fly, n'hésite pas à utiliser une expression clair aux figuralismes marqués, afin d'évoquer les pensées douces amer d'une simple mouche. Tandis que le finale Night, bouleversante ode contemplative à la nature, figure la nuit se mouvant en une apaisante consolation. L'écriture y semble figurer un hiératique choral, où le violon vient comme un rai de lumière, percer l'obscurité.

Night, le finale de Songs of Innocence de Pascal Zavaro, interprété par Eva Zavaro en compagnie du choeur Mikrokosmos

Composé à l'origine pour un chœur d'une quarantaine de personnes, Songs of Innocence est donné ici pour la première fois dans un effectif plus restreint (composé de huit chanteurs étudiants du CRR de Paris, dirigés par Olivier Bardot), un allègement qui exalte encore davantage les aspects chambristes de l’œuvre, instaurant non pas un rapport de forces similaire à un concerto traditionnel, mais un véritable dialogue entre les voix et le violon, qui est ici considéré comme un chanteur à part entière.
Quand au violon du jeune Bilal al Nemr (étudiant au CNSMDP), sa sonorité "verte" ne fait pas oublier la perfection d'Elisabeth Glab (gravée au disque récemment avec Mikrokosmos), quoi qu'elle tente par moments de s'en émanciper, avec un certain panache.


Eva Zavaro
Créé en 2007 à l'occasion du concours de composition du Festival Présences "délocalisé" pour l'occasion en Chine, Danse de Shanghai répond aux critères du concours, à savoir une courte pièce d'environ six minutes, pour ehru et orchestre (d'autres compositeurs proches esthétiquement de Zavaro avaient répondu présents à cet évènement, comme Guillaume Connesson et son nocturne Yu Yan). Instrument traditionnel, le ehru, sorte de petit violon que l'on joue sur les genoux, est un instrument dont la sonorité avait déjà frappé le compositeur par le passé, notamment dans le poétique solo de violoncelle, tiré du second mouvement lent de sa Silicon Music, concerto pour violon électrique et ensemble (1998).

La version originale de Danse de Shanghai,  pour ehru et orchestre

Pour le concert de ce soir, le ehru fut remplacé par son cousin occidental - le violon, interprété ici par la fille du compositeur, Eva Zavaro.
Toutefois, cette pièce montre une volonté réelle d'évoquer (voir d'imiter) le ehru dans les calmes interstices où le violon prend la parole (à l'aide de divers gammes pentatoniques, d'accents caractéristiques), comme le rappelle la soliste avant le début de l’œuvre. En alternance avec ces moments méditatifs où le violon/ehru semble improviser, s'opposent de frénétiques tuttis où le soliste est absent, laissant l'orchestre "danser" à sa place.
Eva Zavaro montre ici un remarquable investissement, où les phrasés sont très accentués comme la musique le requiert, et la sonorité intense et expressive.


Elisabeth Glab, l'ensemble vocal Apostroph', et Pascal Zavaro, durant les répétitions de Songs of Experience

 Mais ce qui constituait le plat de résistance en ce qui concerne les œuvres de Pascal Zavaro données ce soir se trouvait dans les Songs of Experience, qui établissent à notre sens une des pièces les plus marquantes du compositeur. Cette œuvre était donnée ce soir en création par Elisabeth Glab et les huit chanteurs de l'ensemble Apostroph' conduits par France de la Hamelinaye (premiers musiciens confirmés à jouer durant cette soirée - et dont la majeure partie de l'effectif est passée par Mikrokosmos). Cette pièce constitue le second "concerto" pour violon et chœur du compositeur. Miroir des Songs of Innocence, cette nouvelle œuvre est également basée sur les poèmes de l'anglais William Blake. 
 
Couverture peinte par Williamn Blake pour son recueil Songs of Experience
Le premier mouvement The Ecchoing Green s'ouvre sur de lumineux arpèges de violon, soutenant des harmonies à la clarté toute "adèsienne" là encore. La pièce se caractérise par un usage parfois spectaculaire des huit voix solistes du groupe vocale, aboutissant sur la réitération des "On the ecchoing green" ("Sur ce vert pré rayonnant") à de spectaculaires effets de réverbération tout à fait sidérants. Dès ce premier mouvement, Pascal Zavaro amorce un virage esthétique: en effet, il se rapproche dans cette pièce (et par la suite de l’œuvre) de sa première période créatrice, que l'on pourrait qualifier "d'américaine" (en lien avec les musiciens minimalistes). La nervosité rythmique et les harmonies acidulées de ses œuvres antérieures se font sentir dès cette ouverture, et la parenté avec son Déjeuner sur l'Herbe, composé en 2001 pour les Swingle Singers est évidente.

La seconde pièce du cycle, A Cradle Song (Une berceuse), s'ouvre sur une large et dense pâte sonore (notamment au début sur "Sweet dreams"). Une musique qui se poursuivra ainsi dans une grande plénitude, aux harmonies à fois riches, et d'une grande tendresse. Tandis que le violon d'Elisabeth Glab, contrairement à la pièce précédente où il se caractérisait par d'amples gestes volubiles, se fond ici en une parfaite symbiose avec les voix, usant notamment d’aériennes doubles cordes jouées en harmoniques (là aussi un rappel de Silicon Music).

Pascal Zavaro, France de la Hamelinaye et Elisabeth Glab, lors des répétitions de Songs of Experience

Quant au finale The Birds, il apparait comme un festival coloré, où le compositeur n'hésite pas à repousser ses limites et à apparaître clairement "brit-pop". De l'initial solo de ténor au swing implacable ("Where thou dwellest in what grove"), rejoint ensuite par les basses ("Tell me fair one tell me love"), puis par le violon qui apparait alors presque comme un élément intrusif qui chercherait à se faire une place au sein de ces textures délicieusement sucrées. Dans cette pièce, les passages les plus entraînants alternent avec de diaboliques polyrythmies sur des sortes de fausses cadences parfaites s'entrecroisant au voix de femmes ("for thee"/ "sorrow") sur des tapis d'accords de sixtes et quartes aux voix d'hommes, rappels là aussi de l'esthétique du Déjeuner sur l'Herbe, ainsi que des polyphonies en écho de Ecchoing Green
Petit à petit, le violon s'intègre de plus en plus aux voix, pour s'achever dans un discret soupir commun avec la voix d'alto solo, en fusion totale avec les chanteurs.

On aura eu de cesse de s'enthousiasmer pour l'excellentissime chœur de chambre Apostroph' et ses huit solistes de haute volée. Mention spéciale au ténor Samuel Rouffy, qui par son éloquence et son engagement donna (notamment dans le finale) un relief si particulier à la pièce. On aura également pu avoir la démonstration ce soir qu'à 25 ans seulement, France de la Hamelinaye a réussi son pari de fonder un ensemble de (très) haut niveau, dont le plus clair de la programmation est consacré à la création contemporaine, et qui (non seulement de les jouer), s'enthousiasme et prend un plaisir communicatif à chanter cette musique si jouissive, que l'on espèrera réentendre au plus vite !


Benoit Menut







Après un tel feu d'artifice, le concerto pour violon et orchestre Un Poème de Benoit Menut parait moins éclatant. Basé sur un poème d'Anthony Gachet, le concerto en reprend non seulement la structure, mais parfois même les courbes mélodiques du texte lui-même. 
Stéphanie Moraly
Débutant dans une sorte de magma orchestral, la musique est véritablement "lancée" par une obsédante boucle de clarinette, amenant à un large crescendo, à la fin duquel entre le violon. 

Sous-titré "rhapsodie", le violon est en effet exploité dans une veine lyrique, au phrasé ample et large. L'orchestre quant à lui est le plus souvent traité par ajout successif de strates sonores, afin de donner à entendre un univers parfois fourmillant, aux harmonies denses, où se font entendre à la fois Greif (avec lequel le compositeur étudia plusieurs années), Berg, ou bien Schostakovich. 
Toutefois, on trouvera que cette œuvre d'un seul tenant soit écrite peut-être trop dans les mêmes textures, les mêmes climats, sans ménager de moments de surprises pour l'auditeur. Seul intervient à la fin de l’œuvre un large choral de cuivres au sonorités immenses, apportant un regain de surprise à une œuvre qui ne manque pourtant pas de savoir faire. 

Au violon, Stéphanie Moraly prend elle aussi un plaisir manifeste à interpréter cette œuvre qui lui est dédiée, poursuivant ainsi une exploration d'une certaine musique contemporaine française, avec laquelle est s'est familiarisée, notamment en 2010, en enregistrant (en compagnie du pianiste Romain David) l'intégral de l’œuvre pour violon et piano d'Olivier Greif.




La page facebook de l'ensemble Apostroph':
https://www.facebook.com/pages/Apostroph-ensemble-vocal/107438102608426?sk=timeline

Une interview du compositeur Benoit Menut: 
https://www.youtube.com/watch?v=BBJTtZWQaKU




dimanche 22 mars 2015

Récital du pianiste Milan Favoccia, avec des oeuvres de Hindemith, Visvikis, Bartók, et la création d'une oeuvre personnelle, composée avec son frère Clélio.

Chapelle Baltard (Église Saint Philippe du Roule)- 8/03/2015

C'était dans le cadre des concerts du dimanche après-midi à la Chapelle Baltard (rattachée à l'église Saint Philippe du Roule) qu'une centaine de personnes étaient venus écouter le récital du pianiste Milan Favoccia. 

Milan Favoccia

Milan Favoccia est né en 1992 à Paris. A 16 ans, après avoir terminé ses études secondaires et remporté le Concours International de Piano C.M.F. (Concours Musical de France), le jeune pianiste se consacre pleinement à la musique; il travaille son instrument avec André Gorog à l’École Normale de Musique de Paris puis avec Marie Paule Siruguet, Bertrand Denis et David Saudubray au CRR de Boulogne Billancourt.
Au-delà de l'interprétation il se passionne pour l'improvisation et la composition, et monte de nombreux projets musicaux aux côtés de son frère. Il étudie actuellement au CRR de Boulogne-Billancourt dans les classes de Naji Hakim (analyse), et Fabien Touchard (écriture), ainsi qu'au CRR d'Aubervilliers-La Courneuve avec Guillaume Connesson (orchestration).


Il proposait ce jour un programme d'une grande cohérence, alliant des œuvres de son premier professeur de piano et d'écriture Demis Visvikis, accompagnées d’œuvres de Hindemith, Bartók, et d'une création, composée à quatre mains avec son frère Clélio.
 

Paul Hindemith
Le concert s'ouvrait avec la seconde Sonate de Paul Hindemith. Composée en 1936, elle est composée de trois mouvements, d'une durée totale relativement brève d'une dizaine de minutes. 
Recelant d'une grande diversité de climats et de caractères (dont les chromatismes évoquent tantôt Liszt, tantôt Bartók), cette pièce offre en guise "d’apéritif" un aperçu du jeu varié de Milan Favoccia, ainsi que de l'esthétique générale du programme développée par la suite du concert. 



Demis Visvikis
Le programme se poursuivait avec quatre pièces du compositeur franco-grec Demis Visvikis. 

Le court Prélude de Cristal (1984) se développe à la manière d'une improvisation, où la main droite semble dérouler un fil mélodique sans interruption (influence prégnante des ragas indiens), sur un ostinato mouvant aux couleurs impressionnistes


           Prélude de Cristal, de Demis Visvikis, par Milan Favoccia, le 8 Mars 2015 en concert à la Chapelle Baltard (Eglise Saint-Philippe du Roule)

S'en suivait deux autres courtes pièces, Aurore Nacrée (2008), aux sonorités de carillons (évoquant par moment la Cathédrale Engloutie de Debussy), et l’Étude n°1 (1983), déluge de virtuosité où les principes du Prélude de Cristal (le côté rhapsodique du flux de notes rapides à la main droite) est appliqué alors à un univers des plus pyrotechniques



Aurore Nacrée, de Demis Visvikis, par Milan Favoccia, le 8 Mars 2015 en concert à la Chapelle Baltard (Eglise Saint-Philippe du Roule)


La première partie se clôturait avec A l'Unisson du Feu (1984). Plus développée que les œuvres précédentes (11min), cette pièce figure parmi les plus belles réussites de Demis Visvikis. Baignant dans une lumière contemplative, la pièce fait se confronter deux thèmes, l'un aux contours sinueux habillé d'harmonies colorées douces amers, le second, au parfum plus diatoniques, à l'esprit dansant, inspiré des musiques traditionnelles grecques. Dans cette oeuvre, le compositeur fait son miel des délicates tournures modales qui donnent son originalité et sa saveur à cette musique; sans pour autant renoncer à un discours dramaturgique, on retiendra de ce point de vue la fin de l’œuvre, avec son passage de virtuosité "lisztienne" et son accord final joué "fortissimo", dans la résonance duquel "réapparaît dans une vision fugitive le premier thème, purifié, ayant traversé le cycle du feu, devenu messager de Vie" (sic le compositeur). Dans cette pièce tout spécialement, le jeu de Milan Favoccia se mue véritablement en un engagement expressif total sur chaque note d'une musique qu'il pratique depuis de longues années et qu'il comprend dans ses moindres détails; son jeu pouvant parfois atteindre des sommets d'intensité, où bien au contraire de fervente douceur.


Clélio et Milan Favoccia
Après l'entracte, Milan Favoccia présentait en création une pièce d'une dizaine de minutes composée en collaboration avec son frère Clélio. Après un motif initial aux tournures de raga, la pièce développe successivement divers mélodies aux contours modaux, dans une atmosphère contemplative et onirique. La parenté avec A l'Unisson du Feu de Demis Visvikis est marquante, toutefois, ce mouvement de Sonate déploie un univers personnel, aux tournures mélodiques sinueuses et aux harmonies voluptueuses (une pièce plus longue intégrant ce mouvement est actuellement en gestation). Le discours est émaillé de modulations colorées, qui font sans cesse voir la musique sous un autre jour, comme un flot lodique infini aux teintes changeantes. On retiendra notamment certains passages marquants, comme la section centrale, faisant tourner sans cesse un motif circulaire aux allures de carillon, à la manière d'une transe obsédante


Béla Bartók
Pour clore ce concert, les deux œuvres de Bartók présentées par le pianiste (la Suite op.14 et les Six Danses dans le rythme bulgare - extraites des Mikrokosmos) formaient une sorte de récapitulation et de verticalisation de toute l'esthétique de ce programme, à cheval entre tonalité et modalité. Le contraste était aussi saisissant entre ces danses pulsées à l'énergie communicative, et la méditation colorée qui précédait. Comme dans le reste du récital, le toucher sensible et investi du pianiste fit mouche, dans un répertoire qu'il connaît là aussi très bien, en tant qu’interprète, mais aussi en tant qu'analyste.

En bis, Milan Favoccia redonna l'Aurore Nacrée, comme pour mettre un point final à ce programme à la conception circulaire, qui s'évanouissait alors dans cette courte pièce de Demis Visvikis, en forme de carillon resplendissant.


dimanche 8 mars 2015

Ciné-concert fleuve de Karol Beffa autour des "Misérables" de Henri Fescourt, à la Fondation Pathé-Seydoux

Fondation Pathé-Jérôme Seydoux - 07/03/2015

Donné en 2014 à Toulouse pour la première fois dans une version numérique entièrement restaurée, Les Misérables (1925) de Henri Fescourt était à l'affiche de la fondation Pathé-Jérôme Seydoux, dont le plus clair de la programmation est dédié au cinéma muet.

© Fondation Pathé-Jérôme Seydoux

D'une durée démesurée de six heures, le film est projeté les samedi 7 et 14 mars en intégralité sur une seule journée, accompagné par un seul et même pianiste.. Pour ces deux séances, c'est à Karol Beffa que revint cet exercice périlleux d'une improvisation fleuve (le film étant projeté en deux parties, de trois heures chacune).

Car c'est là que réside toute la science que Karol Beffa développe face à l'image: à aucun moment la fresque de Fescourt ne devient un "opéra sans paroles", le flux du discours musical sous-tendant constamment la dramaturgie de l'image sans se mettre en avant.


Karol Beffa

Il est également intéressant de considérer les improvisations de Karol Beffa de deux manières: l'une linéaire, suit l'intrigue du film, se fondant toujours avec l'image, en illustrant le propos sans jamais tomber dans le "mickey mousing" ou l'excès inverse, à savoir de prendre systématiquement les images à contre-pied.

Mais on peut également voir ces improvisations d'une manière plus "verticale", en somme plus globale: on a alors affaire, au sein de thèmes récurrents (carillons, fragments de gammes descendantes) à l'élaboration d'un labyrinthe musical, où se croisent de nombreuses références, suggérées par l'image (un God Save the King suivi d'une Marseillaise évoquant la bataille de Waterloo, des Folies d'Espagne grinçantes accompagnants une danse de salon), ou bien sortis de l'imaginaire de l'improvisateur (un thème grégorien fugace, ou bien un glaçant choral style Bach). De plus, il n'hésite pas à sortir de ses propres codes, afin de s'approcher au plus près des émotions liées à l'image (univers "ligetien" plus tendu harmoniquement, effet de cordes étouffées/bloquées dans le piano).

Une performance tant cinématographique que musicale...à réentendre samedi 14 en intégralité, et et tous les jours de la semaine, accompagné par les élèves de la classe d’improvisation du CNSMDP.



Pour en savoir plus sur la version restaurée des Misérables d'Henri Fescourt :
https://www.youtube.com/watch?v=0vMxwixILJU

Pour en savoir plus sur l'accompagnement de films muets par Karol Beffa:
http://www.college-de-france.fr/site/karol-beffa/course-2012-12-20-14h00-video.htm