samedi 6 juin 2015

"Parfums d'une nuit américaine": Une expérience musicale et olfactive, par le choeur Les Métaboles (direction Léo Warinsky), en compagnie du parfumeur Quentin Bisch

Eglise luthérienne des Billettes - 02/06/2015


C'était une église des Billettes pleine qui accueillait ce soir une expérience sensorielle à la fois étonnante, ludique, et poétique. En effet, le chœur Les Métaboles et leur chef Léo Warinsky (également actuel directeur musical de l'ensemble Multilatérale) proposaient un étonnant "concert olfactif" en compagnie du parfumeur Quentin Bisch (un parfumeur qui était il y a quelques temps encore, pianiste, compositeur, et directeur d'une compagnie théâtrale): Expérience déjà tentée en 2013 - également en partenariat avec Quentin Bisch -, il consiste à distribuer au public de petites "mouillettes" de papier humectées de parfums, changeant au fur et à mesure du programme afin de s'associer et de se mêler à la musique en un même objet poétique.

Le choeur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky) durant le concert "Parfums d'une nuit américaine",
le 02/06/2015 en l'Eglise des Billettes

Très représenté au sein de ce concert, un compositeur comme Samuel Barber pourrait figurer comme une personnification du programme musical de ce soir, alliant "tubes" de la musique chorale (Agnus Dei, transcription du célèbre Adagio pour cordes) à de merveilleuses pépites quasi-inconnues (comme le bouleversant To be Sung on the Water).

Le chœur Les Métaboles nous emporta ainsi une heure durant, dans des contrées méditatives venues d'ailleurs, où les parfums imaginés par Quentin Bitsch venaient comme moirer une atmosphère à la fois délicieuse et introspective, où la fragilité se mêlait à la sensualité, la musique aux parfums et aux couleurs (belles créations lumières de Rosario de Sanctis).

Quentin Bisch
Divisé en quatre parties, le programme se donnait pour but d'imager le thème de la nuit, du crépuscule à l'aube, au sein de sections au titre évocateur ("Ombre", "Sommeil", "Rêve", "Lumière"). Un parfum différent étant distribué au public à chaque changement de thématique.


Aaron Copland en compagnie de Nadia Boulanger, qui dirigea la création des Four Motets en 1921.
La première partie Ombre était constituée musicalement par les Four Motets (1921) de Aaron Copland, et olfactivement grâce à un parfum "frais, boisé, où l'on peut presque discerner les senteurs d'un feu de cheminée" nous explique Quentin Bisch en préambule. La musique de Copland quant à elle est un petit monde en soi: tantôt fragile et énigmatique ("Help us, O Lord", "Have Mercy on Us"), tantôt véhémente et vivifiante ("Thou O Jehova", et "Sing Ye Praises"), elle offre au spectateur une introduction rafraîchissante à un programme qui s'orientera par la suite vers des paysages nettement plus contemplatifs.


Eric Whitacre
Pour Sommeil, la seconde section du concert, Quentin Bisch nous proposait "un parfum réconfortant, comme un doudou que l'on prendrait avec soi pour s'endormir". Côté musical, cette part du spectacle s'ouvrait avec Sleep (2002) de Eric Whitacre. Une oeuvre à l'histoire amusante: Tout commence avec le désir de Whitacre de composer une oeuvre basée sur le poème "Stopping by Woods and a Snowy Evening" de Robert Frost. S'apercevant après l'écriture de la pièce que le-dit poème n'est finalement pas dans le domaine public (les ayants droits demandant d'exorbitants droits d'auteurs), Whitacre demanda à son ami le poète Charles Anthony Silvestri de littéralement recomposer un poème sur la musique préalablement écrite, qui de plus devait suivre la thématique originelle de Robert Frost. Whitacre nous livre alors une page au sein de laquelle l'influence d'un Copland se fait sentir, au travers d'un langage profondément personnel (un compositeur malheureusement peu joué par les ensemble professionnels, alors que sa musique est désormais très populaire au sein des chœurs amateurs). Dans la version de ce soir, Léo Warinsky conduit ses chanteurs dans un tempo allant, sans pathos, au contraire de certaines version fleurant bon une certaine niaiserie. On appréciera également la large palette de dynamiques de ce chœur de vingt-six chanteurs, capable des pianissimo les plus chuchotés comme d’impressionnantes houles emportant tout sur leur passage.

Sleep de Eric Whitacre, par le chœur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky), en la Collégiale St-Martin de Colmar, le 14/02/2015

Cette partie du programme se poursuivait avec deux autres brèves pièces, d'abord le O Magnum Mysterium (1994) de Morten Lauridsen, où des couleurs à la Arvo Pärt se mêlent à un écrin de douceur et de dissonances voluptueuses, s'enchaînant avec l'énigmatique Christian Wolff (1966) de Morton Feldman, sorte de point d'interrogation musical. Moment de statisme bouche fermé, cette pièce prend alors une direction poétique toute particulière grâce à la résonance du parfum créé pour l'occasion, et dont la senteur a eu le temps d'évoluer depuis les quelques minutes qu'il a été distribué au public.


Samuel Barber
S'en suivait un troisième moment intitulé Rêve, au sein duquel prenait place des œuvres de Samuel Barber: Three Reincarnations (1939/40), et deux courtes pièces To be Sung on the Water (1968) et Let Down the Bars (1936). On retiendra tout spécialement le sublime To be Sung on the Water, développant une modalité délicate d'une grande tendresse au travers d'un texte à l'onirisme doucement mélancolique, démontrant les qualités chambristes des Métaboles. Basé sur un texte de la poétesse Louise Bogan (1897-1970) imageant tant le roulis d'un bateau sur lequel se trouvent deux amants, que la fragilité des sentiments humains et la nostalgie du temps qui passe, Barber imagine une oeuvre d'une incroyable beauté où les deux parties du chœur (les femmes d'un côté, les hommes de l'autre) chanteront tout au long de la pièce sans jamais se rejoindre, comme deux être attirés l'un par l'autre mais qui au fond ne s'apprivoiseront finalement jamais.
Le parfum imaginé par Quentin Bisch afin d'accompagner cette caressante musique contient comme "une odeur à la fois lactée, crémeuse, et animale", entrant parfaitement en résonance avec ces méditations aux couleurs satinées.


Lux Aurumque de Eric Whitacre, par le chœur Les Métaboles (dir. Léo Warinsky)
Pour accompagner l'ultime partie de ce concert, intitulée Lumière, le parfum créé par Quentin
Affiche du concert olfactif
 "Parfums d'une nuit américaine"
par le chœur les Métaboles.
Bisch mélange "bergamote, musc, et les meilleurs matières premières" déclare-t-il au public sur un ton enthousiaste. La fraîcheur de ces odeurs répondaient alors d'une belle manière au premier parfum de la soirée, formant ainsi une forme en arche, tandis que le programme musical apparaissait plus comme avoir une trajectoire linéaire, vers cet éblouissement final.
Le diaphane Lux Aurumque de Eric Whitacre, par ses harmonies diffractées à la manière d'un vitrail amenait au clou de la soirée, un Agnus Dei de Samuel Barber, poignant mais là aussi interprété d'une manière qui ne laissait pas le spectateur s’apitoyer, avançant constamment, sans boursouflure, conférant non pas une impression méditative, mais presque au contraire, celle d'une course à l'abîme vers un Eden radieux.

En bis, le chœur Les Métaboles nous offrit deux pièces. Tout d'abord Earth Song de Franck Titcheli, puis une transcription du Jardin Féerique, finale de Ma Mère l'Oye (1910) de Maurice Ravel, signée par le compositeur Thierry Machuel. Malgré des sopranos 1 quelque peu à la peine en cette fin de concert, ce finale ravélien s'incorporait parfaitement au reste du programme, et concluait cette soirée sur une note suave et rayonnante, à l'image de ce concert en forme de progression de l'ombre à la lumière, qui était rétrospectivement plus qu'un simple moment ludique où musique et parfums se mêlaient, mais bien une véritable expérience poétique.





Le site des Métaboles (dir. Léo Warinsky):
http://www.lesmetaboles.fr/

Quentin Bisch sur basenotes.net: http://www.basenotes.net/person/1033




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