lundi 25 mai 2015

Création de la luxuriante Symphonie n°1 "L'Idée-Fixe" de Bruno Mantovani, par l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, dirigé par Pascal Rophé

Maison de la Radio (Auditorium) - 22/05/2015


C'est dans un Auditorium de Radio-France malheureusement bien clairsemé que débuta ce soir là un week-end "carte blanche", consacré à une des personnalité les plus médiatiques de la musique contemporaine: Bruno Mantovani (né en 1974). A la fois compositeur, chef d'orchestre, directeur du Conservatoire de Paris, et depuis cette saison producteur sur France-Musique, Bruno Mantovani était à l'honneur durant trois concerts au sein de la Maison Ronde. Le principal événement se tenant ce soir, puisque l'Orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé par Pascal Rophé allaient donner la création mondiale d'une oeuvre orchestrale de grandes dimensions (30min) signée par le compositeur français, baptisée Symphonie n°1 "L'Idée Fixe".

Bruno Mantovani
Une création donnée au sein d'un programme concocté par Mantovani lui-même, avec en prélude les Quatre Etudes pour orchestre d'Igor Stravinsky, et avant la célèbre Sinfonia, pour 8 voix amplifiées et orchestre, de Luciano Berio.


Orchestration des Trois Pièces pour quatuor à cordes (1914) ainsi que de l'Etude pour pianola (1921), ces Quatre Etudes pour orchestre d'Igor Stravinsky permettaient d'entamer la soirée sur un ton à la fois frais et acidulé. Le "Philhar'" montra ici un bel investissement au sein de ces miniatures colorées, à la fois obsessionnelles (Danse), rugueuses (Excentrique), contrastées (Cantique) ou sémillantes (Madrid), dont l'esthétique évoque des œuvres comme L'Histoire du Soldat ou Renard (1917).



Pascal Rophé et Bruno Mantovani en répétition (2009)

Actuellement aux commandes de l'Orchestre National des Pays de la Loire, Pascal Rophé est un
habitué de longue date des oeuvres de Bruno Mantovani. Découvrant ses pièces alors que Mantovani n'était encore qu'étudiant au Conservatoire de Paris, Pascal Rophé ne cessera de diriger cette musique, le conduisant notamment à enregistrer deux albums (dont une monographie sortie en 2011 chez Aeon en compagnie de l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège, et des altistes Tabea Zimmerman et Antoine Tamestit), ou bien à diriger (également en 2011) la création de son second opéra Akhmatova, à l'Opéra Bastille.

Avec cette nouvelle oeuvre, il s'agissait pour Bruno Mantovani de s'intéresser à la notion de saturation de l'espace sonore par la vitesse et la réitération d'éléments de manière compulsive, démarche initiée dès 2006 dans Streets, où l'abondance de mouvements et de flux aboutissaient paradoxalement à une sensation de staticité, une démarche poursuivie au sein de cette nouvelle Symphonie n°1

Toutefois, cette saturation de l'espace, cette "idée fixe" n'entretient pas de lien direct avec la Symphonie Fantastique (1830) d'Hector Berlioz. En effet, Mantovani en a retenu l'idée au profit de la lettre, même si il n'est pas rare que le compositeur cite explicitement des œuvres du passé au travers des siennes (comme dans le concerto pour clarinette basse et orchestre Mit Audstruck (2003), contenant des fragments de lieder de Schubert).

La pièce s'ouvre sur une section lente, aux couleurs irisées et mouvantes, rappelant ainsi certains passages de Siddharta, ballet composé en 2010 pour l'Opéra de Paris. Suivi par un tutti en forme de tourbillon de timbres, Mantovani fait d'emblée preuve d'une imposante démonstration de son métier d'orchestrateur, et ceci sans toutefois tomber dans l’écueil de tics trop nombreux, qui saturaient littéralement ses œuvres de ces dernières années (Akhmatova, Concerto pour deux pianos..). On pourra insister brièvement sur l'utilisation de ces courtes formules typiques au compositeur (et qui pouvaient finir par agacer au fil des œuvres): en effet, après ce premier tutti apparaît un motif d'accords répétés comme martelés, d'une manière très régulière. Par la suite, cet élément sera distendu, étiré, resserré, subira tous types de modifications, comme si ce matériau était passé au travers du prisme d'un dispositif électronique. Cet élément scandé, par ces transformations successives se transformera par là en formule "type Mantovani", mais trouvera ici toute sa légitimité car profondément intégrée au discours dramaturgique de la pièce. 

On pourrait synthétiser ici par le fait que Mantovani fait montre dans cette nouvelle oeuvre d'une véritable volonté de renouvellement, avec une certaine limitation dans ses éléments de langage traditionnel (tutti usant d'échos en valeurs courtes et très rapides sur des tempi lents, mélodies constamment ornées de 1/4 de tons, etc..), pour non pas trouver des voix différentes, mais dégageant ainsi une évolution stylistique qui promet d'être des plus intéressantes à suivre.

L'Orchestre Philharmonique de Radio-France à l'Auditorium de la Maison de la Radio
Si l'on en revient à la notion de dramaturgie, on pensera à ce que déclarait récemment le chef Pascal Rophé dans une interview sur France Musique à propos de cette création: La musique de Bruno Mantovani contient toujours une forme, une direction lisible et clair; cette oeuvre pourrait être ainsi considérée comme profondément archétypale de la maîtrise de la forme (longue) chez le compositeur. En effet, cette Symphonie en un mouvement unique, que l'on pourrait presque considérer comme un "concerto pour orchestre" opte pour une forme en arche, dont l'épicentre serait un curieux passage de plus de cinq minutes n'usant que d'un quatuor à cordes seul. Oasis d'une ascèse marquant une rupture bienvenue au sein de cet océan d'hédonisme orchestral, ce long passage sert surtout de tremplin à l'orchestre, lui assurant une entrée des plus saisissante, par tuilage progressif avec les solistes du quatuor. Car progressivement, la saturation de l'espace sonore se fera de plus en plus prégnante, notamment en reprenant littéralement en sens inverse les éléments entendus jusqu'alors, pour se conclure dans une ultime accélérations pleine d'angoisse.

A retenir donc, une oeuvre marquante dans le corpus de Bruno Mantovani, amorçant peut-être un renouveau au sein de sa production, ceci au travers d'une oeuvre inspirée, où la vitesse, l'angoisse, la fièvre, mais aussi où l'onirisme et l'hédonisme sont présents.

En haut: Luciano Berio et les Swingle Singers en répétition;
En bas: Les Neue Vocalsolisten Stuttgart


Était proposée après l'entracte la célèbre Sinfonia de Luciano Berio (1925 - 2003). Créée en 1968 par les Swingle Singers, tout d'abord dans une version en quatre mouvements, puis plus tard complétée par un cinquième, Sinfonia peut être à juste titre considérée comme une des pierre angulaires de la musique du XXe siècle. 

Sans s'étendre sur l'oeuvre elle-même, on retiendra la vocalité "chantante" des Neue Vocalsolisten Stuttgart à qui étaient confiées les parties de voix solistes amplifiées. Se plaçant rarement dans une esthétique bruitiste ou plus clairement "rentre dedans" (comme l'était parfois la version des New Swingle Singers et Pierre Boulez), le groupe vocal allemand nous offre une version soignée, profondément "vocale" (vibrato, etc..), mais ne manquant pourtant pas d'une certaine plasticité poétique (quatrième mouvement). Exception faîte du fameux troisième mouvement, reprenant l'intégralité du scherzo de la Symphonie n°2 "Résurrection" de Gustav Mahler, sur lequel vient se greffer 500 ans d'Histoire de la Musique, de Bach à Boulez; un espace musical en trois dimensions où les Vocalsolisten se laissent aller à une bien plus grande théâtralité, se laissant ainsi porter par les flux d'énergie traversant l'oeuvre de part en part.

On aura eu également à cœur de mentionner (et ce tout au long de la soirée), la direction souveraine de Pascal Rophé, qui insuffla aux musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio-France - qu'il connait bien - une bonne dose à la fois d'énergie, de précision, et de poésie, allié à un programme exigeant, qui était toutefois relié par une indéniable notion de plaisir.





Pour réécouter ce concert sur le site de France Musique: 

http://www.francemusique.fr/emission/les-vendredis-du-philhar/2014-2015/stravinsky-mantovani-et-berio-au-programme-du-philhar-que-dirigeront-pascal-rophe-et


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