lundi 11 mai 2015

Triomphe pour le "concert d'accueil" des deux nouveaux co-titulaires du grand-orgue de l'église Saint-Eustache: Thomas Ospital et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard.

Eglise Saint-Eustache, Paris - 06/05/2015


L'atmosphère des grands soir régnait en l'église Saint-Eustache: Et pour cause, nommés juste avant Pâques, Thomas Ospital (né en 1990) et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (né en 1982) allaient donner leur tout premier récital "officiel" en tant que désormais nouveaux co-titulaires du grand orgue Van den Heuvel, prenant ainsi la suite du "monument" Jean Guillou (né en 1930), titulaire des claviers depuis 1963.

Une foule particulièrement nombreuse s'était déplacée ce soir (plus de 900 personnes selon la paroisse), parmi lesquelles le gotha de l'orgue parisien: Daniel Roth (Saint-Sulpice) ou Olivier Latry (Notre-Dame) étaient venus assister à cet événement. Un public qui au fil du concert, n'hésita pas à manifester son enthousiasme de manière parfois bruyante et démonstrative, démontrant ainsi que l'orgue intéresse encore de nombreuses personnes (dixit Thomas Ospital), et qui plus est bénéficie désormais de deux redoutables jeunes musiciens, qui on en sera certain, accompliront de fort belles choses à cette prestigieuse tribune.

Thomas Ospital et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard posant devant la console de nef du grand orgue de St-Eustache

Alternant œuvres du répertoire, pièces contemporaines, transcriptions, et improvisations, les deux nouveaux organistes "maison" nous proposaient un programme en forme de feu d'artifice, conçu afin de faire briller non seulement leur jeu, mais aussi les incroyables couleurs de l'orgue conçu par la maison Van den Heuvel en 1989, et à ce jour peut-être le plus bel orgue de France, avec celui de Notre-Dame de Paris.
Le grand orgue Van den Heuvel (1989) de l'église St-Eustache, Paris

Le programme s'ouvrait avec la fameuse Passacaille & Fugue en Ut mineur de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Baptiste-Florian Marle-Ouvrard.
Énoncé sur les 32' seuls, le thème de la Passacaille est comme irréel, désincarné, aux frontières de l'audible. L'oeuvre se déployant peu à peu en une grande douceur, usant d'un tempo relativement lent et pesant. Dans sa version, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard oublie l'idée de la danse baroque afin d'insuffler à l'oeuvre une pensée rituelle, à l'image d'une procession fantomatique, aboutissant à la fin de chaque partie au jaillissement de tutti à la puissance quasi-apocalyptiques. N'hésitant pas à user de jeux à la configuration "symphoniques" (voix humaine/cornet par exemple) afin de renforcer la perception de certaines lignes du contrepoint, on pourra tout de même parfois s'étonner de certaines registrations qui au contraire enterrent la polyphonie sous des flots de mixtures. Aussi, on ne saura que penser d'un usage massif des jeux de mutations, dont l'intonation n'était peut-être pas toujours au rendez-vous...

Succédait à la console Thomas Ospital dans une redoutable improvisation. Débutant dans une mélodie solitaire qui n'était pas sans évoquer la figure tutélaire de Jean Guillou (et où la conduite de phrase nous évoquait également les mélismes modalo/atonaux de Bruno Mantovani), Thomas Ospital nous emporte alors dans un étourdissant flot musical, où domine une maîtrise confondante de la complexité et de la richesse de timbres dont disposent les cinq claviers et la centaine de jeux du grand orgue. Utilisant toutes les possibilités de l'instrument, il use parfois de sonorités aux couleurs inouïes, comme les mutations jouées seules (évoquant par là les œuvres de Jean-Louis Florentz jusqu'aux improvisations de Thomas Lacôte), des alliages aux couleurs inexplicables (une main sur le principal 2', l'autre en doublure sur la 7e), provoquant une impression sidérante. Toutefois, il ne s'agit pas ici pour Thomas Ospital de prouver d'une manière brillante sa connaissance des timbres du Van den Heuvel de St-Eustache, mais surtout de transfigurer au travers de l'instrument une inspiration qui ne laisse aucun temps mort, à l'image d'un sidérant crescendo aux registrations agressives, donnant ainsi l'impression qu'un véritable éclair s’abattait dans la nef.


Baptiste-Florian Marle-Ouvrard donnant L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas 
(transcr. Lionel Rogg) sur l'orgue de la collégiale de Guérande.

Tout en contraste, le programme se poursuivait avec le retour de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard dans une délicieuse adaptation de L'Apprenti Sorcier (1897), poème symphonique de Paul Dukas. Transcrite par l'organiste et compositeur suisse Lionel Rogg (né en 1936), la pièce de Dukas se révèle sous les doigts de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, tour à tour énigmatique, féerique, et avant tout emprunte de poésie. La "réduction" pour orgue ne se laissant d'autant pas limiter, en offrant toutes les possibilités d'un orchestre symphonique (y compris de saisissants crescendos usant de la pédale d'expression).


Thomas Ospital interprétant la Fantaisie & Fugue sur le choral "Ad Nos" de Liszt
au soir du 06/05/2015 en l'église St-Eustache
"Le morceau le plus extraordinaire qui existe pour l'orgue". Voici comme Camille Saint-Saëns décrivait la Fantaisie & Fugue sur le choral "Ad Nos ad Salutarem Undam" de Franz Liszt (1850). Donné par Thomas Ospital, ce monolithe de presque trente minutes faisait office 
d'épicentre émotionnel du programme. S'installant à la console sans partition, l'organiste déploya durant toute cette oeuvre un phrasé à la fois serein et sincère, capable de moments assourdissants de puissance ou bien d'une tendre poésie de l'intime à la ferveur poignante, comme lors de l'apparition textuelle du choral, tiré de l'acte I de l'opéra Le Prophète (1849) de Giacomo Meyerbeer. Une interprétation dithyrambique d'une oeuvre splendide, que l'on a eu l'occasion d'entendre à de multiples reprises sous les doigts de Jean Guillou par le passé, symbole là aussi de la volonté de se fondre dans un certain héritage.
Parfait symbole de l'ambiance qui régnait ce soir là à St-Eustache, dès les dernières notes de la Fugue entendues, le public réserva une standing ovation nourrie à Thomas Ospital, preuve que malgré les affres qui ont affecté la succession de Jean Guillou, ses successeurs jouissent déjà d'une forte cote d'estime auprès du public.

Parfaite équité au sein de cette soirée, s'enchaînait alors une improvisation de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard. S'ouvrant sur des couleurs aux allures de bouillonnant magma sonore dans les graves du pédalier, l'improvisation se déroule alors dans des sonorités hallucinées, aux timbres rêches et acérés, faisant parfois appel aux mêmes procédés que son collègue Thomas Ospital. On retiendra notamment une section en forme de zig-zag entre tous les plans sonores de l'orgue, donnant ainsi une véritable sensation kaléidoscopique et ahurissante.
Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas
Ospital sur les toits de l'église St-Eustache

Après un bref discours de circonstance, les deux organistes se rejoignirent tous les deux sur le banc de la console afin de donner In Excelsis... brève pièce de Thierry Escaich (né en 1965), arrangement pour deux organistes du finale de l'oratorio Le Dernier Évangile (2000): Hymne de Gloire. Passés tous les deux par la classe d'improvisation d'Escaich au CNSMDP, il s'agissait pour les deux artistes de rendre hommage à leur professeur, tout en concluant la soirée en beauté. Et en effet, il s'agit là d'une pièce où l'angoisse et la fièvre si typique de l'univers escaichien se muent en une manifestation d'exaltation  jubilatoire, s'achevant en forme de tourbillon.

En bis, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas Ospital nous offrirent une dernière improvisation, à deux, en forme de résonance à la pièce d'Escaich qui précédait.
Montrant dans cette improvisation une grande complicité tant musicale que personnelle, les deux artistes auront démontré (et cela tout au long de la soirée) quel plaisir ils éprouvaient dans ces nouvelles fonctions, et quel bonheur les envahissait visiblement à la fois au contact de cet orgue, ainsi que lors de prestations communes.


...qui a dit que l'orgue était ringard et n'intéressait plus personne ?





Le site de Thomas Ospital: http://www.thomasospital.fr/

Le site de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard: http://www.bfmo.fr/

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